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d’ensemble vigoureux, des scènes pathétiques qui laissent à désirer un art plus délié dans la préparation des effets. Le style de M. Verdi est brusque, haché, sans flexibilité et sans grâce. Il ignore à peu près l’art suprême des maîtres, qui consiste à préparer l’éclosion de l’idée et à en poursuivre l’épanouissement graduel, il ne sait point orner la passion d’une forme élégante qui satisfasse les délicats en touchant le vulgaire, il frappe fort, sinon toujours juste ; il vise aux coups de théâtre, aux péripéties violentes ; et ses personnages ont toujours le poignard à la main et l’Invectivé à la bouche. On a rarement vu un compositeur italien plus dépourvu d’imagination que M. Verdi. Sa muse, toujours irritée, ne sait pas encore sourire, et sous sa mélopée vigoureuse et stridente, on n’entend susurrer que de pauvres accords plaqués qui marquent les pulsations périodiques du rhythme. C’est un vrai supplice pour des oreilles exercées et nourries de la manne du Seigneur que d’entendre pendant trois ou quatre actes cet accompagnement de guitare espagnole qu’affectionne M. Verdi, et dont il n’a pu se corriger jusqu’à ce jour. L’orchestre de M. Verdi test constamment partagé en deux tronçons dont il ne sait pas faire un tout harmonieux : d’un côté sont les instrumens à cordes qui mâchent à vide une bien pauvre harmonie, et de l’autre les instrumens à vent, et surtout ceux de cuivre, qui n’interviennent dans le discours symphonique qu’en poussant de grosses bouffées de sonorité qui frappent d’autant plus la foule, quelle en est surprise comme d’une trop vive lumière succédant à une nuit obscure. Ces défauts joints à la parcimonie et à la dureté des modulations, la violence habituelle du style, la pauvreté de l’harmonie, cette instrumentation à la fois vide et bruyante, ces rhythmes tendus et baldanzosi, ces unissons perpétuels, ces coups de théâtre, la passion, le sentiment, la vigueur de certains morceaux d’ensemble, et quelquefois aussi la beauté réelle de scènes bomme celle du miserere au quatrième acte du Trovatore, tout cela donne aux opéras de M. Verdi la couleur sombre et criarde de véritables mélodrames. Dans toute l’œuvre connue jusqu’ici de M. Verdi, il n’y a rien qui égale le finale de Lucie de Donizetti et celui de la Norma de Bellini. Sous la main du compositeur lombard, la grande et belle tradition de l’école italienne, qui s’est conservée jusqu’à Donizetti, est considérablement altérée sans qu’il ait pu atteindre aux qualités supérieures des maîtres étrangers qu’il a pris pour modèles. Il y a plus de poésie musicale dans un acte d’Oberon que dans les vingt opéras qu’on doit à la faconde de M. Verdi. Il a perdu le bel art de chanter, qui faisait la supériorité de l’école italienne sur toutes celles de l’Europe, tous les voyageurs qui visitent cette terre, jadis si féconde en génies de premier ordre, sont unanimes pour déplorer l’état misérable où sont les théâtres lyriques de l’Italie et le goût du public qui les fréquente. Nous pouvons en juger par les chanteurs formés à l’école de M. Verdi que nous entendons à Paris, par la critique et la littérature musicales qui se publient dans ce beau pays. Nous avons lu dans un journal de Naples, dont le style valait bien celui de M. Verdi, que le Guillaume Tell de Rossini marquait la décadence de cet incomparable génie ! La nation qui accepte de pareils jugemens nous paraît digne de croire que il Trovatore est un chef-d’œuvre, et M. Verdi le plus grand compositeur de musique dramatique qui ait jamais existé.

On nous accuse tout à la fois ici de méconnaître la puissance de la nouvelle