causer l’aubergiste ; il ne rencontrait pas un paysan sans l’arrêter et lui demander son histoire. Or, pour bien juger une nation, il n’est rien de tel que de voir de près les mœurs du peuple : les hautes classes de la société se ressemblent à peu près partout par l’effet naturel de l’éducation, qui est sensiblement la même dans tous les pays civilisés ; les classes populaires gardent plus fidèlement la physionomie nationale, et les différences de caractère s’accusent chez elles par des traits plus prononcés et plus faciles à saisir.
On ne connaît guère sur le séjour de Goldsmith à Leyde que les détails fournis par un de ses compatriotes, le docteur Ellis, qui y étudiait en même temps. Il recherchait assidûment la compagnie des professeurs et des hommes instruits de la ville, et il en était bien accueilli ; une grande partie de son temps se passait en entretiens sur la littérature et les sciences. Sa pauvreté était plus grande encore qu’à Edimbourg : non-seulement la vie était beaucoup plus chère à Leyde qu’en Écosse, mais l’éloignement et la difficulté des communications ne lui permettaient de recevoir que très rarement des secours de sa famille. Il donnait à l’occasion des leçons d’anglais, mais cette ressource précaire lui manquait souvent. Dans ses jours de détresse, il recourait à la bourse des trois ou quatre étudians anglais qu’il avait trouvés à Leyde ; parfois aussi il se laissait aller à tenter la chance du jeu. La Hollande était alors par excellence le pays des joueurs ; les moindres villes étaient remplies de maisons de jeu que fréquentaient toutes les classes de la société. Un jour, Goldsmith montra au docteur Ellis une somme considérable qu’il avait gagnée la veille ; Ellis lui donna le conseil de la mettre de côté, parce qu’elle pouvait suffire pour longtemps à ses besoins. Goldsmith se déclara tout à fait de cet avis ; mais, à la première invitation qui lui fut faite, il joua de nouveau et reperdit tout ce qu’il avait gagné. Cependant une année s’était écoulée depuis son arrivée à Leyde, où il s’était proposé de ne séjourner que quelque mois ; le moment était venu de retourner en Irlande, et il n’avait point pris, faute d’argent, le grade de docteur. Goldsmith se dit qu’il ne pouvait rentrer dans son pays sans avoir vu Paris, où enseignaient alors Farhein, Petit et Duhamel Dumonceau. À quoi lui aurait servi d’avoir étudié à fond la langue française, s’il ne profitait pas d’une connaissance aussi utile ? Il emprunta donc au docteur Ellis la somme nécessaire pour se rendre à Paris. En quittant son ami, il passa devant l’établissement d’un fleuriste qui prétendait vendre à bon marché des oignons de tulipes rares. Goldsmith se souvint tout à coup de la passion de son oncle Contarine pour les fleurs, et crût trouver une excellente occasion de témoigner sa reconnaissance à son parent. Il acheta toute une collection d’oignons de tulipes pour les envoyer