Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/873

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quel que fût son goût pour les réunions joyeuses, il n’eut néanmoins aucune faute grave à se reprocher. De temps en temps, l’ennui le prenait : il faisait alors une excursion de quelques jours dans les Highlands ou dans le nord de l’Angleterre, puis il revenait à ses livres. Quand il crut n’avoir plus rien à apprendre à Edimbourg, il fit agréer à son oncle le projet d’aller passer quelques mois à Paris, puis ensuite à Leyde, où il se proposait d’entendre le célèbre Albinus. Il se promettait d’autant plus de fruit de ce voyage, qu’il savait assez bien le français. Après avoir réuni 33 guinées, il se rendit à Leith pour chercher les moyens de passer en France. Il ne trouva dans le port qu’un navire à destination de Bordeaux : ce n’était pas le chemin le plus direct pour aller à Paris ; mais le capitaine l’ayant assuré qu’il trouverait à son bord excellente compagnie, Goldsmith, qui n’y regardait pas de si près, se laissa persuader et retint son passage. Il était à la veille de s’embarquer, lorsqu’il fut arrêté à la requête d’un tailleur. Avec son imprudence ordinaire, il avait répondu pour un de ses amis qui négligea de tenir ses engagemens. Il passa quinze jours en prison. Dans une lettre à son oncle, il représente ce contre-temps comme le plus grand bonheur qui pouvait lui arriver : en effet, le navire sur lequel il devait s’embarquer fit naufrage à l’entrée de la Gironde et se perdit corps et biens. Mis en liberté, Goldsmith s’embarqua pour Rotterdam, d’où il gagna Leyde. Il trouva les professeurs de cette ville, à l’exception d’Albinus et de Gaubius, fort au-dessous de leur réputation et inférieurs de tous points aux professeurs d’Edimbourg. Aussi consacra-t-il beaucoup moins de temps à leurs leçons qu’à l’étude de la langue et de la littérature françaises, et à l’observation des mœurs du pays. Ses lettres à son oncle et plusieurs passages de ses écrits contiennent sur la Hollande et le caractère de ses habitans les appréciations les plus justes et les plus fines. On ne doit point trop s’en étonner : les esprits les plus réfléchis et les plus positifs ne sont pas les mieux doués pour l’étude des mœurs ; ils sont trop portés à juger ce qu’ils voient d’après des idées préconçues, à ramener toutes les actions des hommes à un calcul. Goldsmith voyait juste et bien, précisément parce qu’il ne prétendait point au titre d’observateur, parce qu’il obéissait uniquement à la curiosité qui était un des traits dominans de son caractère. Il n’avait de parti-pris sur rien, et, quelque part qu’il se trouvât, il arrivait disposé à tout admirer. C’était presque toujours à ses dépens qu’il apprenait à connaître le mauvais côté des hommes et des choses. Avec son humeur inquiète, ses habitudes de dissipation, son goût pour les plaisirs peu coûteux, sa facilité à se lier, il pénétrait un peu partout et frayait avec tout le monde. Il n’entrait point dans une hôtellerie sans faire