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père, ses deux grands-pères et nombre de ses cousins, au collège de la Trinité à Dublin, qui était pour l’Irlande ce qu’Oxford et Cambridge sont pour l’Angleterre. Charles Goldsmith ne démentit pas le caractère romanesque que la tradition attribuait à tous les membres de sa famille. À peine entré dans les ordres, et avant d’être pourvu du moindre bénéfice, il revint à Elphin, où il avait fait ses premières études, demander en mariage et épouser la fille de son ancien maître d’école. Anne Jones ne lui apportait en dot que le souvenir de leurs jeux enfantins, de leurs premiers sermens d’amour, et les jeunes époux se seraient trouvés sans asile et sans ressources dès le lendemain de leur union, si un oncle d’Anne, le révérend Green, recteur de Kilkenny-West, ne leur était venu en aide. Il les établit à Pallas, à six milles de Kilkenny, dans une maison dont il avait la jouissance, à la condition que son nouveau neveu suppléerait le recteur de Forney et lui-même dans le service de leurs paroisses. Le revenu de Charles Goldsmith était des plus minces ; mais la vie était peu coûteuse dans ce coin retiré de l’Irlande, et le jeune ministre, pour utiliser ses loisirs et accroître ses ressources, afferma à un prix avantageux quelques terres du voisinage qu’il fit valoir. Dix années s’écoulèrent ainsi au sein de la pauvreté et d’un tranquille bonheur ; Charles Goldsmith était déjà père d’un fils et de trois filles, lorsque, le 10 novembre 1728, lui naquit un second fils qui fut nommé Olivier, du nom de son grand-père maternel.

Olivier avait deux ans quand un grand changement s’opéra dans la position de sa famille. L’excellent M. Green vint à mourir, et son neveu fut appelé à lui succéder dans le rectorat de Kilkenny-West. Charles Goldsmith transféra sa résidence au centre de sa paroisse, au village de Lissoy, situé sur la grande route qui mène de Ballymahon à Athlone, et à une égale distance de ces deux villes. Il y occupait, au bout du village, dans une agréable situation, une maison spacieuse et commode, à laquelle on arrivait par une belle avenue de frênes ; derrière s’étendaient un grand verger et un jardin. C’est là qu’Olivier grandit au milieu des champs, c’est là que s’écoulèrent les plus heureuses années de sa vie, les seules où il ne connut ni la misère, ni son cortège de souffrances. Aussi le bonneur avait-il gravé dans sa mémoire en caractères ineffaçables les moindres traits de ces lieux chéris, et lorsque, jeune encore, mais déjà brisé par la lutte et plein du pressentiment d’une fin prochaine, il sentit un jour son cœur déborder, le village et les champs paternels étaient aussi présens à son esprit qu’à l’heure où il les avait quittés, et ce fut Lissoy qu’il chanta sous le nom poétique d’Auburn.

Le maître d’école du village était un vieux soldat. Pris d’un accès