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tendances diverses qu’elle a manifestées dans d’autres directions. Avant tout, il faut parler de Buffon[1].

Parmi les titres de gloire de ce grand homme, un des plus incontestables est d’avoir été, d’être resté le roi de l’école descriptive. Cela même rend plus difficile à comprendre l’aversion qu’il montra toute sa vie pour les classifications, alors même qu’entraîné par la force des choses, il était obligé d’en faire sans l’avouer. Peut-être se sentait-il à l’étroit dans le cadre systématique tracé par Linné ; peut-être avait-il, lui aussi, le pressentiment d’une méthode plus large et plus vraie. Quoi qu’il en soit, tout en refusant d’admettre les progrès dus à un illustre rival, Buffon en faisait d’une autre nature, et poussait, entre autres, la science dans une voie toute nouvelle. Le premier il rechercha les lois de la répartition des espèces animales à la surface du globe, et en fondant la zoologie géographique il créa une des branches les plus élevées de la zoologie générale et philosophique.

Buffon avait étudié la zoologie dans l’espace, il restait à la considérer dans le temps. Cet honneur était réservé à Cuvier. En publiant ses Recherches sur les ossemens fossiles, celui-ci créa la zoologie paléontologique. Malheureusement cette dernière a été de trop bonne heure considérée et traitée comme une science spéciale. Ce fait s’explique par les progrès mêmes de cette branche de l’histoire naturelle : nulle part ils n’ont été aussi rapides, nulle part ils n’ont produit en aussi peu de temps d’aussi grands résultats. La paléontologie se rattache intimement à la géologie, qu’elle éclaire en s’enrichissant elle-même, à la zoologie descriptive et systématique, dont elle complète les cadres, à la zoologie générale enfin, dont elle a étendu et multiplié les horizons. Elle a donc à perdre beaucoup en se séparant de ses sœurs, et pourtant à peine Cuvier achevait-il d’en poser les bases, que cette tendance à l’isolement se montrait et se caractérisait de plus en plus.

De l’aveu de Linné, de l’aveu de Cuvier, les classifications ne sont pas la zoologie. Reconnaître le genre et l’espèce d’un animal à quelques signes extérieurs, pouvoir lui appliquer immédiatement les deux noms qui le désignent, c’est posséder tout au plus le savoir du bibliophile monomane qui juge des livres par le format, l’impression, la reliure, qui connaît fort bien le titre des volumes et ignore ce qu’ils renferment. Un trop grand nombre de zoologistes ont voulu pourtant réduire la science à ce rôle. Toutefois les meilleurs -esprits ont réagi sans cesse contre cette tendance et cherché à lire dans les ouvrages que d’autres se bornaient à classer. De tout temps,

  1. 1707-1788.