génie et la puissance de travail de Guvier pour atteindre à un tel résultat[1]. Jussieu avait dit : « Il faut dans une classification méthodique tenir compte non-seulement de tous les caractères, mais encore de la valeur de chacun d’eux. » Pour apprécier ce dernier élément, le fondateur des méthodes naturelles avait eu recours à l’observation seule. Cette manière de procéder était praticable en botanique ; elle eut été d’une application impossible en zoologie. Cuvier y suppléa par des a priori. Il mesura l’importance des caractères à l’importance de l’appareil organique qui les fournissait, et posa ainsi le principe des caractères dominateurs, qui, fondé presque uniquement sur l’examen des animaux les plus élevés en organisation, n’a de valeur réelle que dans les groupes supérieurs. Toutefois la grandeur de l’intelligence suppléa, chez Cuvier, à ce qui manquait en observation ; il traça le premier cadre méthodique qui ait renfermé l’ensemble toujours croissant des espèces animales, et ce cadre dans son ensemble subsiste encore aujourd’hui.
Entraîné par les préoccupations des siècles précédens et par les idées de son époque, quelque peu fier aussi sans doute de l’œuvre qu’il avait accomplie, Cuvier crut d’abord qu’une classification méthodique, remaniée et perfectionnée grâce à des progrès journaliers, devait être l’expression dernière et le but final de la science ; mais il reconnut plus tard son erreur. Vers la fin de sa vie, et quand une observation incessante eut fécondé son génie, la méthode lui apparut comme la science des rapports, et il sentit combien sont nombreux les liens qui rattachent chaque espèce à toutes les autres. Dès lors il n’hésita pas à proclamer que la classification la plus rationnelle est nécessairement imparfaite, et ne saurait être la traduction fidèle de la science, par cela seul qu’elle est impuissante à exprimer ces relations multiples. — Trop souvent oubliée par les admirateurs aussi bien que par les adversaires de Cuvier, cette déclaration formelle témoigne en faveur du caractère de celui qui l’a faite tout autant qu’en faveur de son génie. D’une part, Cuvier brûlait pour ainsi dire ses dieux d’autrefois et ne craignait pas d’amoindrir ce qui pour bien des savans à courte vue était son principal titre de gloire, et d’autre part il ouvrait la porte à des progrès nouveaux, accomplis après lui, et sur lesquels nous aurons à revenir.
Pour ne pas rompre l’enchaînement des idées et des faits, nous avons suivi la zoologie dans les efforts qui l’ont conduite à inventorier ses richesses et à en dresser le catalogue raisonné ; mais la science n’a pas marché dans une voie unique depuis la renaissance jusqu’à nos jours, et il nous faudra revenir en arrière pour juger des
- ↑ 1769-1832.