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« Ils virent en face le glaive du tyran, la crinière ensanglantée du lion ; ils inclinèrent leurs têtes pour recevoir la mort. Quels suivans marchent après eux ?

« Une noble armée, hommes et enfans, la mère et la jeune fille, entourant le trône du Seigneur, triomphent parés de vêtemens de lumière.

« Ils ont gravi la rude montée des cieux à travers le péril, le labeur et la peine. O Dieu, puisse nous être accordée la grâce de venir à leur suite ! »


N’est-ce pas ici, au milieu des splendeurs de la conquête britannique, la voix charitable, la douce ferveur du missionnaire anglais des premiers temps, de ce Winfried, le prédicateur venu d’Irlande dans la Germanie sauvage ? L’état du monde, la science de l’apôtre, le lieu de sa mission, la forme de son sacrifice, tout est bien changé, bien divers : ce sont les horizons de feu, les diamans de Golconde, le luxe de Calcutta, les palais des princes déchus, au lieu des huttes éparses sur les bords du Rhin et dans les forêts de la Thuringe ; mais l’âme du charitable apôtre est la même. On le sent aux cris de douleur qui lui échappent sur les vices inhumains mêlés à l’idolâtrie des Hindous, et sur tous les maux dont il faudrait les guérir pour les élever jusqu’à la foi. Le spectacle et le désespoir d’une telle mission détruisirent bientôt les forces d’Heber. Ni la grandeur, ni la politique du pouvoir anglais dans l’Inde ne permettaient qu’il y eût un péril de martyre pour l’évêque, dont le zèle curieux parcourut même les contrées les moins soumises encore de ce vaste empire ; mais le sacrifice était dans cet effort même, dans les tristesses et l’activité dévorante de ce zèle trop faible encore pour tant de misères humaines.

La vie de Réginald Heher s’épuisa vite sous le ciel brûlant de l’Inde. Cet aimable et vertueux génie fut enlevé au monde, à ses compatriotes, dont il adoucissait la puissance, à ces millions d’hommes qui, dans leur abaissement.et leur ignorance, avaient appris à prononcer son nom, et supposaient vaguement quelque sainteté dans une religion dont il était l’apôtre. Mais ce zèle même si consumant pour la faiblesse du corps, cette ferveur ingénue qui semblait un don de l’église primitive, s’alliaient en lui aux vues les plus hautes sur le mouvement de la race humaine ici-bas et le progrès nécessaire de l’Évangile. Tous les peuples du monde étaient présens à sa charité, et ce pieux enthousiasme anticipait, à ses yeux, de quelques siècles le travail des, peuples civilisés, ce travail de salut spirituel incessamment servi par les guerres, le commerce, les arts, l’ambition de puissance et de gain des nations de l’Europe. Un simple prélude qu’on lui avait demandé pour une quête en faveur de missions évangéliques devient un hymne sur la future conversion du monde :