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la pure élévation d’une âme bienfaisante et le charme poétique dont elle fut inspirée. Il y a là des choses dignes des premiers siècles de l’église, un enthousiasme d’imagination comme de foi qui rappelle les chants lyriques de Grégoire de Nazianze, et il s’agit d’un temps auquel nous touchons encore.

C’est en 1823 qu’un jeune ministre anglican, brillant élève de Cambridge et déjà célèbre par quelques poésies grecques, latines, anglaises, était envoyé à Calcutta pour diriger, à titre d’évêque, les établissemens religieux du Bengale. C’était un ministre protestant qui avait l’âme de Fénelon et ce même goût d’antiquité, ce même attrait de culture élégante et d’imagination émue. Sa jeune femme, le petit enfant qu’elle amenait d’Europe, le luxe officiel dont sa charité même ne pouvait le délivrer, tout cela ne choque pas plus dans les mémoires de sa vie que ne nous blessent dans l’histoire ecclésiastique les équipages de chasse et les études mondaines de l’évêque de Ptolémaïs, le platonicien Synésius.

Réginald Heber n’a pas moins d’élévation philosophique et de douceur chrétienne. Il n’est pas époux moins tendre, poète moins gracieux, et ce qu’il y a d’immense dans cette puissance anglaise dont il est un des modérateurs, cet empire absolu sur tant de millions d’hommes aussi opiniâtres dans leurs cultes indigènes que résignés dans leur obéissance, cette visite pastorale de Calcutta jusqu’à Bombay à travers les souverainetés détruites, les idoles tolérées dans les temples et les anciens sultans reclus dans leurs palais, tout ce spectacle sans exemple dans le monde donne au pieux et charitable évêque une grandeur singulière. Européens, mahométans, Hindous de castes diverses, il est pour tous un être supérieur en sagesse et en bonté.

Au loin et pour le lecteur, il intéresse surtout comme témoin historique et comme pur et noble génie, ayant trouvé dans le ciel de l’Inde, dans sa vie d’apôtre, dans sa foi, dans son ambition évangélique, une grandeur et une nouveauté de poésie désormais bien rares. À part cette inspiration, le récit de son voyage, ses lettres durant son séjour abondent en précieux détails, dont quelques-uns jettent beaucoup de lumière sur des événemens mêmes qui semblaient imprévus. « L’Inde britannique, écrit Réginald Heber dans une lettre de janvier 1824, comprenant aujourd’hui directement ou indirectement les trois quarts de la grande péninsule, paraissait jusqu’à cette heure en complète sécurité. Les Mahrattes sont totalement vaincus et découragés : les rois d’Oude et de Hyderabad tiennent leurs trônes sous notre agrément et bon plaisir, et leurs sujets ne désirent rien tant que de nous voir prendre dans nos mains le gouvernement de ces deux pays. La Russie, d’autre part, est considérée comme