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s’absorba dans la contemplation de cette seule antiquité et de cette grande nature qui lui est contemporaine et semblable. Puis, cette fois à l’ardente curiosité de l’étude se joignaient dans le docte étranger la religion du devoir, le sentiment profond de l’humanité, la passion du soulagement de ces peuples, auxquels il s’identifiait par la science. De là, sur une partie de ses écrits se répand la douce sérénité d’une âme vertueuse et satisfaite.

Ainsi même cette singulière illusion de continuer les hymnes des Védas n’est pas sans vérité et sans charme, alors que, sur ces beaux rivages souvent si malheureux, sur cette terre ravagée par tant de violences, où jadis, chez des hommes paisibles, étaient montés vers Dieu quelques accens si purs, un homme de la race des nouveaux dominateurs du pays, un Anglais dans le faste du pouvoir, emploie sa veille laborieuse à murmurer des vers pleins des traditions et des images qui l’entourent. Lui-même, dans un de ses hymnes, fait à cet égard une allusion qui, tout étrange qu’elle peut paraître, a sa grâce poétique. S’adressant au dieu Soleil (Surya)[1], « si les hommes, dit-il, demandent quel mortel élève ainsi la voix, dis, ô dieu (car tes regards embrassent le ciel, la terre et l’océan), dis que du sein de l’île d’argent, là-bas, au loin, de cette terre où les astres sourient d’un éclat plus doux, un homme est venu, et, bégayant notre langue divine, bien qu’il ne soit pas issu de Brahma, a tiré de sa source la plus pure la science orientale à travers des souterrains longtemps fermés et des sentiers longtemps obscurs. »

William Jones, consumé des feux de l’Inde et de la dévorante activité de son esprit, triste de sa solitude, après le départ d’une épouse aimée que la maladie forçait de retourner sous un autre climat, était mort à quarante-sept ans, en 1794. C’était le temps où l’Europe, effrayée de si menaçans spectacles et agitée de convulsions si violentes, ne songeait guère à l’Inde, que la France avait perdue déjà depuis près d’un demi-siècle. L’Angleterre cependant accroissait son empire oriental par une habileté profonde, sans éclat de génie. Les idées généreuses de William Jones continuaient de s’appliquer dans le gouvernement civil, sauf les terribles exceptions qu’y faisaient parfois les nécessités de la conquête et certaines spéculations impitoyables de l’esprit mercantile. À côté de cette équitable intention

  1. And, if they ask what mortal pours the strain ?
    Say (for thou seest earth, air, and main),
    Say, from the bosom of yon-silver isle,
    Where skies more softly smile,
    He came ’and lisping our celestial tongue,
    Though not from Brahma sprung,
    Draws Orient knowledge, from its fountains pure,
    Through caves obstructed long, and paths too long obscure.