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de nations asservies. Ce n’était pas seulement cette tolérance religieuse tant vantée en Europe et poussée dans l’Inde jusqu’à la tolérance inhumaine des plus sanguinaires superstitions : c’était aussi l’introduction des pratiques de liberté civile les plus chères aux Anglais, puis un soin scrupuleux de mêler à ces bienfaits étrangers le respect des lois locales, et de paraître ainsi gouverner les Hindous par leurs propres coutumes et par eux-mêmes.

Un illustre Anglais, William Jones, un de ces prodiges d’érudition moderne, joignant à la science polyglotte du XVIe siècle l’élévation libérale de l’esprit et des vues, avait été le principal instrument de cette entreprise. Nommé juge à la cour suprême du Bengale et embrassant aussitôt de son infatigable étude la langue et les monumens des principales races soumises à cet empire nouveau, il réunit, traduisit, commenta les anciennes lois des brahmes et, pour une autre partie du peuple, l’ancienne législation des vainqueurs mahométans ; il fit appliquer le droit des indigènes et celui des conquérans intermédiaires par leurs descendans dégénérés, paraissant leur rendre à tous la patrie, ou l’indépendance qu’ils avaient perdue.

Nous ne prétendons pas dissimuler ici tout ce que cette influence d’un esprit généreux, ce système équitable de William Jones devait rencontrer d’exceptions et de démentis dans les procédés inévitables de la conquête, dans l’avare cupidité de quelques chefs, dans les rigueurs obligées de quelques percepteurs aux ordres d’une compagnie de marchands, dans les reprises perpétuelles de guerre enfin, et dans les traditions de tyrannie tour à tour punies et permises de nouveau par les Anglais chez les petits souverains qui servaient leur puissance. Cette contradiction fut grande sans doute, et l’équité, l’humanité de William Jones eurent souvent à gémir, quoique, durant la plus grande partie de sa difficile mission, le ciel lui eût donné dans le gouverneur de l’Inde, lord Teingmouth, l’associé le plus noble et l’appui le plus éclairé.

Que dans cette ville de Calcutta, dans cette Alexandrie de l’Inde qui s’étendait si vite autour de l’ancien fort William, dans cette capitale déjà remplie de palais, entre le luxe du commerce conquérant et la richesse craintive et cachée de quelques héritiers des anciennes tribus souveraines, la pensée se figure deux sages, deux enthousiastes de la science et de la liberté, — le gouverneur et le grand-juge, — veillant sur ce peuple immense qui leur est soumis, rêvant pour lui la paix et le bien-être, et y travaillant par mille efforts trop tôt perdus dans cet océan de vices et de misères !

Arrivé au Bengale en 1783 et promptement familier par l’usage avec des idiomes que lui ouvrait déjà son immense érudition, la première idée de William Jones fut donc d’assurer dans l’empire britannique