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présumer, lorsque, ce péril franchi, l’Angleterre réglera de nouveau sa possession de l’Inde, et que, renonçant à une épreuve sans autre exemple dans l’histoire du monde, elle ne prétendra pas armer à plaisir ses vaincus pour assurer leur obéissance, et maîtriser ce monde lointain de tributaires et de sujets avec une garde prise parmi les opprimés eux-mêmes !

Selon la vraisemblance historique et l’induction à tirer des faits même les plus récens, ce n’est pas la conservation ou la perte de l’Inde qui est en question pour l’avenir, mais la mesure des sacrifices, la surcharge de soins, l’emploi de forces exclusivement anglaises, ou du moins européennes, que coûtera cette conservation complète ou restreinte.

Quoi qu’il en soit à cet égard, les belles et vastes contrées tant de fois ravagées depuis leur déchéance d’une antique civilisation ne semblent point destinées à briser encore de longtemps le joug que le génie du septentrion a mis sur elles. Ces races mêlées et presque toutes énervées qui couvrent la grande presqu’île du Gange, ces cultes hindous et mahométans, ces débris de principautés indigènes, ces castes oppressives ne reprendront pas l’empire de ce vaste pays. Elles ne s’arracheront pas aux mains habiles et tenaces de vainqueurs peu nombreux, mais si supérieurs à ceux qu’ils assujettissent, armés d’une tactique si puissante, et avertis de leurs périls par une si terrible leçon.

Reste donc, ce semble, à se demander, non pas ce que va devenir l’Inde émancipée par une sanglante révolte, qui sans doute l’aurait laissée barbare sous une caste nouvelle, son armée indigène. Cette chance est déjà détournée. Mais que doit attendre l’Inde du complet rétablissement de ses maîtres inexpugnables ? Qu’aura-t-elle à. souffrir de plus, ou que pourra-t-elle gagner, pour elle-même et pour l’humanité, à la situation nouvelle de ses dominateurs et au problème, chaque jour plus avancé, de l’ascendant européen sur le monde asiatique ? Voilà ce que l’avenir verra se développer avec plus ou moins de sacrifices et d’obstacles, et ce qui de longtemps ne laissera pas à l’Angleterre toute sa force disponible en Europe.

La série de ces questions n’est pas nouvelle du reste ; elle ramène d’abord la pensée sur ce qui s’était fait dans l’Inde pour mêler à la conquête, tout oppressive qu’on la vît souvent, quelque chose des institutions et des garanties sociales dont l’Angleterre ne peut jamais se départir tout à fait. Depuis un siècle en effet, parmi ces détrônemens, ces confiscations, ces violences qui ont étendu le joug anglais dans l’Inde, l’ont débarrassé d’abord de la concurrence française, puis rendu si puissant, de singuliers progrès de l’esprit moderne avaient été apportés par les maîtres au milieu de ces masses