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au point du vaisseau à la mer, tant sur le quartier de réduction que sur les cartes, les questions et calculs astronomiques, les différens cas de variation, les calculs de latitude, la petite navigation par le calcul ordinaire et celui des tables, l’échelle des cordes, les différens problèmes de navigation, questions astronomiques et autres y relatives par les logarithmes. Il joint à tout ceci, — ajoutait mon digne maître, — une parfaite connaissance des calculs de la longitude des vaisseaux à la mer par la distance de la lune au soleil ou à une étoile. » C’est avec ce mince bagage scientifique que je suis arrivé au grade d’officier-général, que j’ai commandé des vaisseaux et des escadres. Je ne sais trop ce que j’aurais gagné à pousser plus loin mes études. Si l’on en croyait certaines gens, la marine deviendrait une succursale de l’Académie des Sciences : j’aime mieux qu’elle demeure ce qu’elle était avant la révolution, — le premier de nos corps militaires. L’honnête Iago, après tout, a raison ; ce n’est point un arithméticien que le More devait choisir pour son lieutenant dans le commandement de la flotte vénitienne.

Le bonheur dont je jouissais ne me faisait pas oublier cependant le désir de poursuivre ma carrière. On parlait beaucoup depuis quelque temps d’un projet de voyage autour du monde. Une parelle campagne était trop dans mes goûts pour que je ne sollicitasse pas la faveur d’être embarqué sur un des deux bâtimens qui venaient d’être désignés, et que l’on armait à Brest pour remplir cette mission. Grâce à la recommandation d’un de mes parens, le chef de l’expédition voulut bien accéder à ma prière. Je sortais à peine de l’enfance ; mais la rude école de l’adversité avait fait de moi un homme : je m’en sentais le courage, et j’acceptais avec joie la perspective des dangers que nous allions courir, car j’espérais y trouver l’occasion de me distinguer. Je fis donc immédiatement mes préparatifs de départ. La stricte économie que me commandait impérieusement notre position de fortune me détermina à éviter les frais qu’eût entraînés un voyage par terre. Le transport le Singe allait appareiller pour se rendre à Brest : j’obtins passage sur ce bâtiment, et quelques jours après, le 2 août 1791, je me présentais au commandant de la Durance, qui me remettait, avec mon ordre d’embarquement sur “cette corvette, le brevet de volontaire de première classe.

La campagne que j’allais entreprendre n’a pas employé moins de cinq années de mon existence : elle m’a initié à tous les secrets du métier et à toutes les épreuves de la vie. Ce fut pour moi la campagne décisive.


E. JURIEN DE LA GRAVIERE.