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sembla entraîner dans sa chute l’avenir colonial et la puissance maritime de la France. À partir de dette époque, nous, dûmes chercher ailleurs que dans les possessions lointaines nos conditions de grandeur. Peut-être aujourd’hui ne faut-il pas trop nous en plaindre. Les questions redoutables qui pèsent sur les États-Unis, sur l’Espagne, sur la Hollande, sur l’Angleterre elle-même, se sont trouvées de bonne heure résolues pour nous. Notre position, à tout prendre est encore la meilleure de toutes.

Les bâtimens négriers, surtout ceux qui avaient sujet de se féliciter de leur voyage, ne partaient pas pour la France sans faire, avant de lever l’ancre pour la dernière fois, quelques frais de toilette. L’extérieur du navire recevait à cette occasion une nouvelle couche de peinture. Ce travail était ordinairement confié aux jeunes gens de l’état-major, qui l’exécutaient sous la surveillance du second. Pendant que je m’acquittais consciencieusement de ma tâche, un de mes camarades, plus âgé et bien plus robuste que moi, trouva plaisant de se servir de son pinceau pour m’en barbouiller la figure. Je fis tous mes efforts pour lui rendre la pareille ; outré de n’y pouvoir réussir, je me vengeai de mon impuissance par des injures, et je finis par une provocation formelle. Mes menaces ne me valurent que de nouvelles railleries. J’avais oublié cette querelle, lorsqu’au bout de huit jours l’adversaire que j’avais imprudemment appelé sur le terrain vint me rafraîchir la mémoire. Il me proposa de descendre à terre avec lui et d’y acheter des fleurets dont nous ferions sauter les boutons. Il ne lui manquait que de l’argent pour faire cette acquisition : j’en avais, et je pris volontiers la dépense à ma charge, car tous mes ressentimens s’étaient à l’instant ranimés. Nous sortîmes de la ville tous les deux, et là, sans témoins, nous nous mîmes bravement à ferrailler. Mon adversaire avait tout l’avantage sur moi ; il était beaucoup plus grand, et avait dans le poignet une force double au moins de la mienne. Heureusement les fleurets dont nous avions cassé les boutons à la hâte n’étaient pas assez aigus pour pénétrer bien avant dans les chairs. Je recevais des coups sur le ventre ou dans la poitrine qui ne laissaient d’autres traces que de larges égratignures. J’étais furieux de mon infériorité, et je voulais à toute force voir à mon tour sur le corps de mon antagoniste les preuves de mon adresse. Je me précipitai sur lui avec tant de rage que je parvins à l’effrayer, même avant d’avoir pu lui porter une seule botte. Il fut le premier à me proposer de cesser le combat-Je dictai les conditions de la capitulation, et j’exigeai de lui l’engagement de ne jamais parler de cette affaire. Le traître le promit, mais il ne me tint pas longtemps parole. Un jour que nous faisions assaut de rimes et qu’il avait épuisé tout son vocabulaire, il ne craignit pas d’abuser de mon nom pour faire une sanglante allusion à