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vie patriarcale que celui d’une exploitation. Les nègres y font partie de la famille du maître, et l’on n’exige d’eux qu’un travail modéré.

Le port de Santo-Antonio est le meilleur point de relâche que l’on puisse trouver sur la côte d’Afrique. Il est si bien fermé, que l’on peut y stationner dans toutes les saisons sans y être exposé à aucun danger. On n’y éprouve jamais la moindre houle, et l’on peut y entreprendre en toute sécurité les réparations les plus importantes. À cet avantage il faut joindre celui, non moins appréciable, de pouvoir s’y approvisionner avec la plus grande facilité d’une eau pure et limpide qui ne se corrompt jamais. Située sous l’équateur, l’île du Prince eût pu devenir, à l’époque surtout où je la visitai, une colonie des plus importantes. Tombée sous le régime indolent des Portugais, elle ne tirait aucun parti des nombreux élémens de richesse qu’elle renferme. La seule source de revenu, suffisante d’ailleurs pour subvenir aux dépenses locales, était le droit d’ancrage imposé aux bâtimens négriers qui, après avoir complété leur chargement sur la côte d’Afrique, venaient à Santo-Antonio chercher des rafraîchissemens et y mettre à terre pendant quelques jours leur cargaison d’esclaves pour les préparer à supporter les fatigues du voyage aux Antilles ou aux îles Sous-le-Vent. Aujourd’hui l’île du Prince offrirait encore, en cas de guerre maritime, une position militaire d’un très grand intérêt. On pourrait de ce poste avancé expédier des croiseurs qui commanderaient la grande route de l’Inde, et trouveraient dans le port de Santo-Antonio un excellent lieu de recel pour leurs prises.

Lorsque nous eûmes renouvelé notre provision d’eau et embarqué quelques vivres frais, nous songeâmes à reprendre le chemin de la France. Les ordres qu’avait reçus notre commandant à son départ lui prescrivaient de ramener la frégate au port de Brest, où l’on devait en effectuer le désarmement. Nous éprouvâmes des calmes sous la ligne, et après le calme, des vents de nord. Ces contrariétés allongèrent singulièrement notre traversée. Dans les parages des Açores, j’eus encore un exemple d’un de ces accidens de la vie maritime que la moindre lenteur dans les précautions à prendre transforme aisément en d’irréparables malheurs. Un de nos matelots était tombé à la mer. Fort heureusement pour lui, il nageait comme un poisson. Il semblait naturel d’envoyer un canot à son secours, et faute d’avoir pris à temps ce dernier parti, nous pûmes craindre que ce pauvre diable ne fût victime de la gaucherie de notre manœuvre. Déjà les personnes placées sur le pont l’avaient perdu de vue. La bouée de sauvetage avait été détachée au moment même de l’accident et filée à la mer avec la ligne de sonde qui y était fixée. La longueur de cette ligne devenant insuffisante, on y joignit les drisses de bonnettes, les drisses même des huniers. Tout était inutile. La