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les plus pauvres, et à leur faire une part des richesses que Dieu nous envoie.

II.

Des environs d’Angora, qu’on se transporte maintenant à Constantinople : c’est encore chez une famille musulmane que je vais conduire mon lecteur ; mais celle-ci ne ressemble guère à celle du brave paysan Mehemmedda. Nous sommes dans un palais riche, mais délabré, un des palais du pacha protecteur d’Osman. Ce haut fonctionnaire en a permis l’usage au jeune fils de Mehemmedda lorsqu’il l’a élevé à la dignité de son secrétaire et qu’il lui a donné, sa jeune esclave, la Circassienne Sarah. Non content de cet acte de générosité, le pacha avait envoyé à son secrétaire un curieux mélange de meubles de rebut, quoique bien conservés, mais n’ayant jamais été destinés à faire ménage ensemble. Les rideaux étaient ou trop courts ou trop longs pour les fenêtres ; les divans s’arrêtaient à moitié chemin du mur, les tapis formaient comme des îles au centre des planchers, ou bien on les avait roulés sur les bords pour en dissimuler les proportions exagérées. Mais ce qui était plus triste encore que ce défaut d’ensemble, c’était le désordre qui régnait sans partage dans cette demeure. Partout des toiles d’araignées formaient d’immondes draperies ; des morceaux de plâtre détachés de la muraille laissaient à découvert la brique ou la pierre de la première construction ; des pans de l’ancienne boiserie, qui avaient alimenté le maigre foyer dans des jours de pénurie, étaient remplacés par des planches en sapin blanc. Le malheureux penchant qu’ont les Turcs à rapiécer leurs vêtemens avec des morceaux totalement étrangers à l’étoffe primitive avait laissé des traces profondes et nombreuses dans tout l’appartement. Plusieurs vitres n’étaient maintenues dans leur situation normale que par des bandes de papier huilé qui remplaçaient les parties absentes.

Dans l’une des chambres composant le harem étaient rassemblés les meubles les mieux conservés, et un grand feu brillait dans l’âtre ; c’était dans ce réduit privilégié que l’objet de l’intérêt général gisait étendu sur deux matelas placés à terre devant la cheminée, à demi suffoqué sous une multitude de vêtemens fourrés et de couvertures piquées. C’était un jeune homme de jolie figure, mais si maigre et tellement accablé par la maladie, qu’il eût été difficile de préciser son âge. Plusieurs mouchoirs entouraient son front hâve et creusé ; ses prunelles, qui semblaient flotter trop à l’aise dans l’enfoncement de leurs orbites, brillaient du feu de la fièvre ; les pommettes saillantes de ses joues étaient marquées de taches d’un rouge vif ; des