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souvenirs à notre avantage. Ces chroniques survivaient, il y a quelques années encore, dans la mémoire de nombreux officiers. Il est à craindre qu’elles ne s’évanouissent bientôt, si l’on ne s’empresse de les recueillir. Ce serait, je le dis hardiment, une perte regrettable. Les officiers que nous avons remplacés n’avaient point l’esprit organisateur qui s’est depuis quelques années développé parmi nous : ils avaient des vertus militaires dont nous aurions bien tort de répudier l’héritage. Pour chercher des modèles d’intrépidité, de pur et noble patriotisme, on n’a point à rétrograder jusqu’aux temps de la vieille monarchie ; on n’a qu’à se reporter d’un demi-siècle en arrière. On trouvera dans le corps mutilé qui soutint si courageusement un conflit inégal des caractères qui ne le cèdent en rien pour l’élévation des sentimens aux plus généreux esprits d’une autre époque. Je ne conseillerais point de prendre exemple sur la naïve confiance avec laquelle nos pères se présentaient à l’ennemi, n’attendant la victoire que de leur courage et négligeant trop ce qui pouvait la préparer ; mais je crois qu’on ne saurait mieux faire que de s’inspirer de l’ardeur chevaleresque qui les animait. J’ajouterai même que, comme marins, ces vaillans officiers avaient des qualités que pour ma part je leur ai souvent enviées. Apprendre ce qu’ils ont fait n’est donc point inutile, apprendre comment ils ont été conduits à le faire me paraît plus profitable encore.

J’ai trouvé dans des souvenirs qui me sont précieux à plus d’un titre les élémens d’un récit qui peut en quelque sorte servir de prélude aux chroniques dont je déplorais tout à l’heure l’absence. Ce travail retrace dans ses détails les plus intimes et les plus familiers une éducation maritime. C’est le rude noviciat par lequel ont passé la plupart des capitaines qui ont joué un rôle important dans les guerres du commencement de ce siècle que je me propose de faire connaître ici à une génération qui ne s’endurcit plus en de pareilles épreuves. Pour offrir de cet apprentissage un tableau plus exact, j’ai voulu laisser la parole à l’officier qu’une destinée laborieuse devait faire arriver de degré en degré, de campagne en campagne, jusqu’aux premiers emplois de son arme. Je n’ai point cependant juge à propos de franchir pour le moment la période où ces souvenirs prennent un caractère à la fois plus historique et plus personnel. J’ose espérer qu’on n’en retrouvera pas moins dans les pages qu’on va lire la physionomie générale d’une époque qui compte encore en France plus d’un contemporain. C’est à ces glorieux survivans d’un autre âge qu’il appartiendra de dire si j’ai tracé un portrait idéal ou fidèle des marins avec lesquels ils ont combattu, si dans l’officier, fils patient de ses œuvres, à qui j’ai laissé le soin de raconter ses premières campagnes, ils ne reconnaissent pas les