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doute le mérite d’un homme que François Ier appelait son ami, et à qui Michel-Ange lui-même écrivait une lettre où le sculpteur des Tombeaux des Médicis s’humilie presque devant l’orfèvre ! Pourtant, si l’on se rappelle la courtoisie proverbiale de François Ier, peut-être ne prendra-t-on pas tout à fait à la lettre cette expression de ses sentimens. Peut-être aussi se souviendra-t-on qu’il existe une autre épître de Michel-Ange, adressée cette fois à Pierre Arétin, et conçue dans les termes de la déférence. Suit-il de là qu’il faille tenir l’Arétin pour un honnête homme, et puisque Michel-Ange a consenti un jour à le traiter comme tel, n’a-t-il pas pu tout aussi bien exagérer dans la forme son estime pour le talent de Cellini ?

À quoi bon au surplus discuter les témoignages d’autrui ? Que l’on consulte les travaux-en tous genres qu’a laissés Cellini, les œuvres de sa plume aussi bien que les œuvres de son ciselet : on s’assurera qu’en dehors des questions de fabrication, il y a peu de profit à tirer de ses théories et de ses exemples. Je me trompe : la publication des Traités de l’Orfèvrerie et de la Sculpture peut avoir son utilité, précisément à cause du caractère tout matériel des préceptes qu’ils renferment. Rapproché d’autres publications où l’art est envisagé de beaucoup plus haut, — de l’ouvrage de Vasari par exemple, — ce livre fera d’autant mieux ressortir les vrais titres de l’ancienne école. Puissent les artistes italiens comprendre le rôle que ce passé leur impose ! Qu’ils désespèrent de reconquérir pleinement l’héritage de leurs ancêtres, cela se conçoit de reste. Faut-il pour cela qu’ils poussent le sentiment de leur déchéance jusqu’à s’humilier devant l’art étranger, jusqu’à porter tantôt la livrée de l’art français, tantôt quelque autre déguisement, — que dis-je ? — jusqu’à chercher dans les perfectionnemens du procédé photographique les maigres succès que, faute de mieux, l’on poursuit aussi en Amérique ? D’assez grands modèles leur sont proposés, assez de traditions subsistent, pour qu’il leur soit facile de s’informer de leurs devoirs. Qu’ils laissent à d’autres les ambitions vulgaires. Peut-être sont-ils condamnés à ne représenter que des souvenirs, à perpétuer seulement le nom d’une race illustre : quoi qu’il arrive, ce nom leur reste, ces souvenirs leur appartiennent ; c’est à eux de les respecter les premiers et de porter fièrement l’indigence actuelle en se rappelant les grandeurs d’un passé qui, fort heureusement, revit ailleurs que dans les travaux de Cellini.

Quant à nous, quant à tous ceux que préoccupent les intérêts de l’art moderne et les dangers qui le menacent, l’étude des œuvres et de la vie de Cellini offre plus d’un enseignement. Elle détermine à la fois, et par un exemple contraire, les fonctions sérieuses et les conditions, morales du talent : double leçon qu’il n’est pas superflu