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coule pas avec la rapidité accoutumée. Je comprends que ce feu d’enfer a dévoré tout l’alliage, et j’ordonne à mes aides de m’apporter sur-le-champ les plats, les écuelles, les assiettes, tous les ustensiles en étain que je possède ; j’en avais deux cents environ, que je mis un à un à l’entrée des canaux ou que je fis jeter en bloc dans la fournaise. Dès lors, chacun voyant que le bronze s’épanchait à merveille et que mon moule s’emplissait régulièrement, ce fut à qui m’aiderait avec le plus de zèle et ferait la plus joyeuse mine. Quant à moi, je surveillais tout le monde, dirigeant l’un, secourant l’autre, et répétant : O mon Dieu, mon Dieu, qui es ressuscité des morts par la toute-puissance pour monter glorieusement aux cieuxl En un instant, le moule se trouva plein, et je tombai à genoux en remerciant Dieu dans toute l’effusion de mon cœur… »


On juge du retentissement qu’eut dans Florence un succès aussi inattendu, et de la déconvenue de ceux qui avaient compté sur un dénoûment tout contraire. Les uns criaient au sortilège, et, faute de mieux, accusaient Cellini d’accointances avec le démon ; les autres acceptaient l’événement en silence, sauf à en condamner les résultats le jour où le Persée serait mis en place. Quant au duc, il prit tout d’abord le parti de se réjouir et de féliciter l’artiste d’aussi bon cœur que s’il se fût toujours fort intéressé à sa gloire. Une fois en veine de satisfaction, Côme ne se démentit plus. Les figures destinées à orner le piédestal de la statue achevèrent de le mettre en belle humeur, et, au bout de quelques années, il avait si bien oublié le passé, il s’était si complètement rallié à la cause de Cellini, que le jour où le Persée fut découvert (1554), il demeura du matin au soir caché derrière les rideaux d’une fenêtre basse pour entendre les propos de la foule et savourer secrètement des louanges qui devaient se formuler les jours suivans en d’innombrables sonnets, en distiques grecs et en vers latins.

La popularité rapide de l’œuvre de Cellini, les éloges presque unanimes qui en accueillirent l’apparition, ne s’expliquent pas seulement par les difficultés dont l’artiste avait su triompher au dernier moment. Une certaine nouveauté dans l’attitude et dans l’expression de la figure, l’élégance de quelques morceaux, du piédestal surtout, — bien que cette base un peu étroite ne soit pas tout à fait d’accord avec les développemens de la statue, — expliquent aussi et justifient en partie l’admiration des contemporains pour le Persée, mais à côté de ces qualités, dont on doit tenir compte, de bien graves défauts viennent choquer le regard. Comment ne pas être frappé, par exemple, de l’inexactitude des proportions, du rapport évidemment faux entre la longueur du torse et la longueur des membres, en un mot d’un vice de construction qui, pour employer la langue des ateliers, laisse la figure mal ensemble, c’est-à-dire radicalement impossible ? Une pareille faute est-elle de celles que rachètent les