des formes d’expression puissantes, et l’artiste n’aura-t-il pas assez fait en pareil cas s’il a su donner à sa pensée un tour délicat et facile ? Sans doute il ne faut pas la main d’un Michel-Ange pour agencer de menus ornemens ou pour ciseler des figurines ; il ne faut pas viser à renfermer un poème épique dans les proportions d’un sonnet. Suit-il de là toutefois que cette délicatesse puisse impunément dégénérer en mesquinerie, et cette facilité en purs tours d’adresse ? Une part, et une part nécessaire, n’est-elle pas à faire aussi à la justesse des intentions, à la précision du style, à l’élévation du sentiment ? Puisque l’allégorie, l’allusion morale ou poétique interviennent dans le travail, que ce travail au moins ne soit pas en désaccord avec les souvenirs qu’il réveille ou les idées qu’il prétend exprimer. S’agit-il de combinaisons absolument décoratives, de formes associées les unes aux autres sans signification positive, sans autre fin que le plaisir des yeux : il faut que, même ici, le caprice ait sa raison d’être, que ces lignes et ces formes impossibles empruntent une sorte de vraisemblance à l’ordre dans lequel elles auront été disposées. Veut-on des exemples, les ornemens gravés par les niellatori florentins au XVe siècle expliqueront ce que nous essayons d’indiquer. À coup sûr, de pareils ouvrages ne reproduisent guère les réalités qui nous entourent ; ils en définissent tout au plus quelques fragmens accouplés comme au hasard, et l’on dirait au premier abord que ces élémens à peu près chimériques auraient pu, sans dommage pour la composition, se coordonner tout autrement. Si l’on examine pourtant la distribution des divers détails, si l’on creuse la pensée qui les a groupés ainsi, on sentira qu’ils résultent logiquement les uns des autres, que, telle forme une fois donnée, telle autre ne l’avoisine qu’à titre de corollaire et de complément indispensable. Et quelle aisance dans ces déductions pittoresques ! quelle science sous cette grâce ! quel accent magistral dans ces œuvres presque microscopiques ! Dans les œuvres de Cellini au contraire, une sorte de bizarrerie pédantesque, quelque chose de surchargé ou d’interrompu mal à propos déconcerte le regard. Le style, capricieux sans ingénuité et laborieux sans précision, exprime des intentions précieuses plutôt que fines, une originalité recherchée plutôt qu’un goût vraiment original ; en un mot, ce talent, quelque indépendance qu’il affecte, manque pour ainsi dire d’instinct. Rien de l’étrangeté exquise qui caractérisait les travaux de l’ancienne école florentine dans ces ornemens, dans ces figures où l’instrument se montre si habile et la main qui le dirige si incomplètement inspirée : pas une tête dont l’expression vous saisisse, pas une forme ressentie et traduite à la manière des dessinateurs de haute race. Cellini connaît à merveille tous les secrets de la pratique, il parle
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