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le bravo qui le plus souvent brandit son poignard en face de ceux dont il n’a rien à craindre, et qui le tire dans l’ombre lorsqu’il rencontre des adversaires redoutables ; le satrape de bas étage qui se venge des cœurs qui lui échappent en ensanglantant jusqu’à ses plaisirs[1], — un tel homme ne saurait personnifier toute une classe, encore moins toute une époque. Que par quelques côtés il représente les mœurs italiennes et les sensualités de la renaissance, je le veux bien ; mais gardons-nous de voir en lui un caractère générique et un type. Une société composée de pareils hommes serait tout simplement un assemblage de bandits, et, pour associer des confrères dignes de lui à un artiste de cette trempe, il faudrait grouper, non les artistes contemporains, purs au moins de pareils crimes, mais ceux qui à diverses époques se sont signalés par quelque détestable forfait, — Andréa del Castagno par exemple, le meurtrier de Domenico Veneziano, et Belisario Gorenzio, qui empoisonna, dit-on, Dominiquin.

Il est présumable que Cellini arrivait à la cour de France précédé seulement de sa réputation d’habile orfèvre. Accueilli par le roi avec une singulière bienveillance, il se vit, dès les premiers jours, accablé de faveurs et de travaux. Aux commandes qu’il lui avait faites, François Ier ajouta bientôt des lettres de naturalisation, le titre de seigneur du Petit-Nesle, — château construit, on le sait, à peu près sur le terrain qu’occupent aujourd’hui les bâtimens de l’Institut, — enfin le don viager de cette demeure et le droit de l’habiter seul. Quant à la dernière clause, elle ne laissait pas, il est vrai, d’entraîner quelques difficultés d’exécution. Bien des gens installés de longue main dans le château ou dans ses dépendances refusèrent d’abord de céder la place. On jugera du nombre des familles et de la variété des industries réunies au Petit-Nesle, lorsque nous aurons dit qu’à l’époque où Cellini voulut prendre possession de son domaine, il s’y trouvait, entre autres établissemens, un jeu de paume, une distillerie, une imprimerie et une fabrique de salpêtre. Le nouveau seigneur du lieu n’était pas homme à réclamer ses droits dans la forme ordinaire : il arma ses élèves et ses ouvriers, livra un véritable assaut aux récalcitrans, bouleversa leurs habitations, et jeta leurs meubles par les fenêtres. Par malheur, quelques-uns de ceux qu’il venait d’évincer ainsi étaient les protégés de la duchesse d’Étampes, dont Cellini n’avait pas su, tant s’en faut, se concilier les bonnes grâces. Informée de l’affaire, la favorite en instruisit à son tour le roi, qui commença de reconnaître aux façons d’agir de

  1. On trouvera un révoltant exemple de la cruauté de Cellini dans ce qu’il raconte, au second volume de sa Vie, d’une de ces donne de’ suoi piaceri qui lui avait préféré certain garçon employé dans la maison en qualité de teneur de livres.