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du château Saint-Ange, rien de mieux ; mais la portée de ses coups est si infailliblement heureuse pour la cause qu’il défend, il prend à son compte la mort de tant de gens, et des meilleurs, qu’on ne saurait suivre d’un œil très confiant la longue liste de ses succès. Si le connétable de Bourbon tombe pour ne plus se relever, c’est l’arquebuse de Cellini qui l’a renversé ; si le prince d’Orange est atteint à son tour, c’est encore Cellini qui a frappé ce second chef de l’armée impériale. Enfin au dernier moment un coup de canon vient-il à décider, sinon la victoire, au moins la cessation des hostilités, c’est que le feu a été mis à ce canon par la main de Cellini. À certains momens pourtant, il s’occupait d’une autre besogne dans ce même château Saint-Ange, d’où il foudroyait si bien l’ennemi. Chargé par Clément VII de démonter toutes les pierreries de la chambre apostolique et d’en faire fondre l’or, afin d’assurer au pape des ressources en cas de fuite, il s’acquittait de sa tâche entre deux décharges d’artillerie, sauf, — c’est lui qui nous l’apprend, — à prélever sur les lingots quelque chose pour son propre compte en vue du lendemain. Une précaution de ce genre ne mériterait-elle pas un nom plus sévère ? Notons aussi qu’en racontant à deux reprises l’opération qu’il dut accomplir par ordre du pape, il ne trouve pas une parole de regret pour les anciens monumens de l’art qui périrent ainsi sous ses doigts. Dans sa Vie, il mentionne simplement le fait ; dans son Traité de l’Orfèvrerie, il en prend occasion pour recommander le mode de construction du fourneau dont il s’est servi. Et cependant quels trésors d’invention et de goût, combien d’ouvrages précieux à divers titres sont venus s’anéantir dans le creuset de Cellini !

Aucune de ces œuvres, il est vrai, n’intéressait directement l’artiste, aucune d’elles n’était signée de son nom : qu’eût-il pensé ou dit des mains impies qui, dans une circonstance pareille, eussent détruit avec indifférence ses propres travaux, — le bouton de chape, par exemple, qu’il allait l’année suivante ciseler pour Clément VII, et qu’il nous décrit dans son Traité, non sans se comparer à Phaëton, fils du Soleil, sauf cette différence toutefois que Phaëton se rompit le cou à la suite de son entreprise, et que lui, Benvenuto, retira de la sienne infiniment d’honneur et de profit ? Nous ne savons dans quelle mesure le pape se fût accommodé de l’hyperbole. Il est certain du moins que Clément VII suivit de fort près les progrès du travail, et qu’il en pressa l’achèvement avec autant de zèle que s’il se fût agi d’un monument à la gloire de son règne. On s’étonnera peut-être qu’une œuvre aussi peu considérable, qu’un simple bouton de chape en un mot ait pu exciter à ce point la sollicitude de Clément VII ; mais il ne faut pas oublier que celui-ci, tout