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fut d’étouffer la sincérité du sentiment sous un appareil scientifique, l’inspiration évangélique sous des formes païennes. Est-il besoin d’ajouter que ce reproche n’effleure même pas certaines gloires au-dessus de toute atteinte, et de déclarer hors de cause un sculpteur comme Michel-Ange, des peintres comme Léonard et Raphaël ? Profiter des exemples antiques à la manière de ces maîtres immortels, ce n’est certes ni imiter mal à propos, ni enfreindre les lois de l’art chrétien : c’est au contraire l’achever et en compléter l’expression par un élément nouveau, — le beau extérieur et la correction suprême. Aussi doit-on hautement réprouver les efforts d’une petite secte dont le puritanisme étroit voudrait assigner pour date à la décadence de l’école italienne le moment où elle donna les témoignages les plus éclatans de sa grandeur ; mais, toutes réserves faites en ce qui concerne les chefs-d’œuvre de la renaissance, il faut reconnaître que le mouvement que l’on a qualifié ainsi introduisit, avec le progrès, certaines habitudes de pédantisme et de caprice. En répudiant ses propres traditions pour s’inspirer un peu inconsidérément de l’antique ou pour faire à la fantaisie une part trop large, l’art florentin, sous le pinceau ou le ciseau de bien des hommes habiles, perdit en partie ce caractère de profondeur et d’émotion intime qui avait signalé ses débuts. Il lui resta un goût pittoresque exquis, une finesse d’exécution admirable : il n’eut plus, il eut du moins plus rarement une grande portée morale et des formes d’expression strictement appropriées aux exigences de chaque sujet. Pour ne citer qu’une œuvre appartenant directement à l’orfèvrerie, les ornemens en bronze ciselés par Verocchio sur le tombeau de Jean et Pierrette Médicis dans l’ancienne sacristie de Saint-Laurent à Florence montrent assez que, même avant la fin du XVe siècle, l’exacte relation entre la décoration et la destination spéciale d’un monument avait cessé d’être une loi. Rien de plus ingénieux, au point de vue de l’harmonie linéaire, que ces guirlandes de fleurs et de fruits s’échappant, au sommet du sarcophage, de coquillages disposés en forme de cornes d’abondance, rien de plus élégamment ajusté que les rinceaux qui s’élancent des angles du monument pour aller s’épanouir sur ses faces ; mais en quoi cette riante ornementation indique-t-elle une sépulture, et une sépulture chrétienne ? La croix même est absente, et si la bague ornée d’un chaton, emblème adopté d’abord par les Médicis, si les noms inscrits dans le porphyre informent suffisamment nos regards, rien ne nous parle de la mort dans ce tombeau, qu’on pourrait, sans en outrager le caractère, réduire à l’office et aux proportions d’un coffret. Combien d’autres travaux, tantôt inutilement magnifiques, tantôt plus agréables que de droit, n’attestent-ils pas ce désaccord entre les intentions de l’artiste et l’objet du travail !