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prêtant sur ce point des arrière-pensées toutes personnelles. Ses écrits respirent un tel contentement de soi, il a de lui-même et de ses œuvres une opinion si imperturbablement favorable, qu’il ne saurait sans doute juger avec moins d’indulgence que son propre talent l’art auquel il avait voué sa vie, sa vie tout entière. On ne doit pas l’oublier en effet : Cellini rompit avec la tradition de ses devanciers, qui n’étaient orfèvres qu’à leurs heures et à la condition de devenir peintres, sculpteurs ou architectes. La voie ne s’élargit pas pour lui : il suivit jusqu’au bout le même sentier, côtoyant à peine l’art sérieux et se faufilant pour ainsi dire à travers les difficultés que d’autres écartaient de haute lutte. Parfois, il est vrai, il lui arriva d’aborder la statuaire monumentale ; mais quelque réputation qu’ait encore aujourd’hui l’une de ses œuvres en ce genre, on y reconnaît plus d’adresse que de science, l’intelligence des détails plutôt qu’un large sentiment de la forme ; en un mot, le goût et la main d’un orfèvre se trahissent encore dans le Persée bien plutôt que la main et les intentions d’un sculpteur. Un jour aussi, Cellini fournit quelques dessins pour fortifier deux des portes de Florence, la Porta al Prato et la Porticciuola : ce ne sont là toutefois que de rares accidens dans sa carrière d’artiste, et, s’il n’avait pas mis tant de zèle à publier jusqu’aux moindres particularités qui en accompagnèrent l’exécution, de pareils travaux n’auraient peut-être gardé jusqu’à notre temps ni une importance bien sérieuse, ni une popularité bien grande. Cellini, quoiqu’il ait fort à cœur dans ses écrits de nous laisser persuadés du contraire, est donc avant tout et à peu près exclusivement un orfèvre. Reste à savoir quelles innovations il a introduites dans son art, quel style distingue les ouvrages qu’il a laissés des ouvrages de ses prédécesseurs, et de quelle autorité sont pourvus les livres où il propose ses opinions théoriques comme des règles et sa manière comme un exemple.

À l’époque où Cellini commença son apprentissage, menant de front d’ailleurs avec l’étude du dessin l’étude de la musique, dont son père voulait qu’il fît son occupation principale, l’orfèvrerie, telle qu’on la pratiquait à Florence, continuait le mouvement qui, depuis plus d’un demi-siècle, avait renouvelé les autres arts. On était en 1515. L’influence exercée d’un bout à l’autre de l’Italie par la découverte des monumens antiques, le culte en toutes choses des modèles grecs et romains, l’action des platoniciens, amis de Laurent, secondée par les artistes contemporains, et si puissamment développée par les maîtres nés vers la fin du XVe siècle, — tout avait, sinon radicalement transformé, au moins profondément modifié le goût, le style, le génie florentins : révolution heureuse à bien des égards, mais en un certain sens excessive, et dont le tort principal