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nielles, nombre de monumens attestent avec quelle supériorité l’orfèvrerie était pratiquée en Italie avant que Benvenuto Cellini y appliquât son talent.

Dans la langue moderne, ce mot orfèvrerie a perdu en grande partie sa valeur et presque complètement changé de sens. Il ne sert plus en général qu’à désigner des produits où l’art n’est intéressé que d’assez loin : il est donc nécessaire, pour l’intelligence même de notre sujet, de lui restituer la signification qu’on lui attribuait autrefois. À proprement parler, dit M. Milanesi dans la judicieuse introduction qui précède les Traités de Cellini, l’orfèvrerie est l’art de travailler l’or. Au moyen âge, puis à l’époque de la renaissance, on donnait le nom de pièce d’orfèvrerie à toute sculpture en or, en argent, en cuivre, ou même en étain et en plomb. Souvent, faute de matières précieuses, les artistes façonnaient des matières vulgaires avec autant de soin et de zèle que s’ils eussent eu des trésors sous la main ; la grossièreté de l’élément premier était rachetée ici par la noblesse et par l’élégance de la forme… La religion, les mœurs de la noblesse, le luxe, procuraient jadis aux orfèvres, principalement en Italie, une ample besogne et de continuels encouragemens. Aussi, malgré les discordes et les guerres qui ravagèrent les états italiens jusque vers le milieu du XVIe siècle, l’orfèvrerie garda-t-elle à Florence, à Venise, à Gênes, une importance plus considérable que partout ailleurs. Elle intervenait nécessairement dans la décoration des églises et des autels ; elle enrichissait les vases sacrés aussi bien que la vaisselle de table, les reliquaires où se conservaient les ossemens des saints comme les menus objets de la toilette des femmes… C’était elle enfin qui fournissait au guerrier ses armes, au pontife sa triple couronne, à l’empereur son diadème, au prince son collier, au gentilhomme, au capitaine, au magistrat, ces petits médaillons qu’il était de mode d’attacher au bonnet. — Voilà qui définit suffisamment le rôle des anciens orfèvres italiens et les conditions particulières qui leur étaient faites. Quant au degré de considération qu’un tel genre d’industrie mérite en général, Cellini a pris soin de le déterminer dans une lettre au duc Côme écrite en 1548. « L’art de l’orfèvrerie, dit-il, est plus grand qu’aucun autre (maggiore di tutte), car si l’on veut en exploiter toutes les ressources, il faut un matériel qu’on n’acquerra pas pour cinq cents écus. » Soit, si l’excellence d’un art doit se proportionner au prix des instrumens de travail ; mais n’y a-t-il pas ici, sous une autre forme, quelque chose de cette naïveté intéressée que Molière a mise en scène, et ne pourrait-on voir tout uniment dans le fier artiste florentin un ancêtre de M. Josse ?

On ne court guère au surplus le risque de calomnier Cellini en lui