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infidèle, le texte original. L’artiste s’était-il défié de son style ? avait-il demandé à quelque écrivain de profession d’en polir les aspérités, de supprimer les incorrections grammaticales et même certaines vivacités de langage qui pouvaient blesser quelque chose de plus que la syntaxe ? Le fait semble assez probable. Quoi qu’il en soit, les Traités, tels qu’on les avait jusqu’ici, n’existaient qu’à l’état de version incomplète et défigurée. L’un des plus actifs et des plus érudits entre ces écrivains italiens qui se sont associés pour remettre en lumière les documens authentiques sur l’art de leur pays, M. Carlo Milanesi, a restitué le texte conformément aux manuscrits mêmes, et fait revivre ainsi la vérité après trois siècles de méprise ou d’oubli. C’est en partie à M. Milanesi que l’on devait déjà l’excellente édition de Vasari, publiée à Florence dans le cours des dernières années ; son récent travail n’a guère une moindre importance, bien que dans un sens tout opposé. Il nous permet de juger, en regard de la vie des grands maîtres et sur des preuves irrécusables, la vie, la pensée, toute la physionomie morale d’un personnage qui appartient à une autre race, à cette famille des aventuriers de l’art dont Salvator Rosa devait, cent ans plus tard, renouveler le type. Contrôlés les uns par les autres, les écrits de Cellini et les témoignages de son habileté pratique font bien connaître la valeur réelle de ce talent. Le tout nous montre clairement ce que la réputation de l’artiste doit au savoir-faire de l’homme, et dans quelle mesure il convient de ratifier la gloire qu’il s’est décernée à lui-même, ou que d’autres lui ont attribuée de confiance.


I

Si l’on demandait à bon nombre de ceux qui s’intitulent les admirateurs de Benvenuto Cellini sur quels spécimens de sa manière se fonde leur admiration, la réponse ne leur serait pas toujours facile. Les œuvres authentiques de Cellini dans l’ordre d’art qui lui a valu la meilleure part de sa réputation, c’est-à-dire dans l’orfèvrerie, sont des plus rares : tel qui salue en lui le prince des orfèvres n’a peut-être jamais vu un objet ciselé de sa main. Beaucoup de gens connaissent, il est vrai, sa statue de Persée à Florence, mais il est permis de se demander jusqu’à quel point cette œuvre de grande statuaire peut justifier la renommée de l’artiste. Quant aux œuvres moins ambitieuses qui sortaient de sa boutique pour orner les médailliers ou les dressoirs, les habits sacerdotaux ou les costumes de fête, le nombre en est aujourd’hui si restreint que quelques lignes suffiraient pour en dresser le catalogue ; encore faudrait-il parcourir bien des pays, explorer bien des collections, avant d’avoir acquis à