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soit estimé fort au-dessus de son mérite par bon nombre de gens ? Le goût seul est compromis dans une erreur de ce genre, et ceux qui la commettent ne gagneraient à être éclairés qu’un sentiment plus exact des conditions extérieures de l’art. — Soit, mais le nom de Cellini soulève des questions plus hautes. La loi même du beau, inséparable du bien, ce qu’on pourrait appeler la moralité esthétique, est ici directement en cause, et l’étude des travaux de l’orfèvre florentin, combinée avec l’examen des faits biographiques, nous découvre à la fois l’insuffisance de ce talent et l’origine de ses faiblesses. Elle prouve une fois de plus qu’il n’y a ni inspiration sûre sans l’honnêteté du cœur, ni art sérieux sans la dignité de la vie. À ce titre, la publication des écrits de Cellini peut aujourd’hui avoir son utilité, même en dehors de l’Italie. Est-ce en effet seulement à Florence ou à Rome que les artistes contemporains ont besoin d’être prémunis contre les entraînemens de la vanité, contre l’amour des succès faciles, et ne pourrait-on constater plus près de nous les symptômes d’égaremens semblables ? Jamais en France les talens n’ont été aussi nombreux qu’aujourd’hui ni aussi habituellement encouragés, jamais à un certain point de vue l’habileté n’a été plus commune, et cependant l’école française n’est plus à la hauteur où elle se maintenait encore il y a quelques années, parce que l’esprit de spéculation inspire trop souvent ces talens, parce que l’habileté semble bien moins le fruit des recherches studieuses que l’expression d’une vaine adresse. Il y a de notre temps quantité de peintres, de sculpteurs, de graveurs : sauf quelques exceptions qui se signalent d’elles-mêmes, il n’y a plus d’artistes, c’est-à-dire d’hommes pour qui l’art soit mieux qu’un métier, le succès autre chose que le bruit du moment. Sera-t-il inutile dès lors d’invoquer l’exemple même des tristes effets que ; produit dans l’art l’avilissement du sens moral, et, comme autrefois à Sparte, de chercher à dégoûter ceux que tenterait l’ivresse par le spectacle de ses excès ?

On connaît assez généralement la Vie de Cellini, écrite par lui-même ; mais ses Traités de l’Orfèvrerie et de la Sculpture n’ont pas obtenu à beaucoup près la même popularité, bien que ces ouvrages, moitié autobiographiques, moitié didactiques, accusent aussi nettement que le premier les habitudes d’esprit, le genre d’habileté et le caractère de l’auteur. Il est vrai que, depuis l’année où parut la première édition, publiée du vivant même de Cellini, en 1568 ; et aujourd’hui fort rare, les Traités ont été singulièrement modifiés par les éditeurs successifs ; et accommodés plus ou moins adroitement au goût de chaque époque. Bien plus, cette première édition, imprimée pourtant avec le consentement et sous les yeux de Cellini, ne reproduit que sous une forme tantôt abrégée, tantôt ouvertement