à l’homme qui aime une femme comme ta maîtresse d’aujourd’hui, à l’âge où te voici arrivé ! Les idylles ne vont qu’avec le printemps. Si tu prends au sérieux ta pâtissière, au bout d’un an tu ne seras plus que l’ombre de toi-même, — l’ombre, que dis-je ? c’est un mot qui rend bien mal la chose épaisse que nous te verrons devenir. Traite ta Lucile, puisque la dame s’appelle ainsi, comme tu en as traité tant d’autres. C’est une fleur de plus, dis-tu, dans ton cœur, que tu compares à un vieux vase ; soit, respire cette fleur-là tant que le parfum t’en charmera, et quand tu la jetteras, sois sans inquiétude, quelqu’un saura la recueillir. »
Et le sage ami, par un mouvement naturel d’idées, en vint à cette folie qu’ont les hommes de regarder comme détruits tous les cœurs où ils ont campé. « Il semble, s’écria-t-il, en s’animant, que notre amour à tous soit le tonnerre brûlant l’existence sur laquelle il s’abat. Les femmes nous mettent en tête cette sornette dont elles doivent bien rire entre elles. »
Dans cette ironie, les deux compagnons se retrouvèrent en parfait accord, et ce fut un assaut de médisances sur le sexe qui fait notre joie, pour me servir de l’expression du poète. Médisances stériles au reste, propos de poltrons révoltés et de poltrons d’une singulière espèce, aspirant à pleins poumons le péril adoré qu’ils sentent dans l’air !
Quoique Fleminges écrivît fort peu, il y avait une personne, de par le monde, — était-ce un homme ? était-ce une femme ? c’est ce que je laisserai incertain, — à qui son cœur s’ouvrait volontiers de toutes choses, dans des lettres tantôt courtes, tantôt longues, toujours vraies, et partant toujours remplies. Faites à votre gré de ce confident un ami sérieux et discret, à l’âme délicate et douce, véritable lit de repos pour vos affections blessées, ou bien une amie enjouée, tendrement curieuse de tous les détails de votre vie, sympathique à vos défauts, indulgente à vos fautes, conscience habillée de rose, qui vous renvoie souriant et absous, cela importe peu à notre récit. Voici les fragmens ajustés des lettres de Fleminges au dépositaire inconnu de ses secrets.
« Il y a dans un admirable conte une scène qui a inspiré plus d’un tableau. Deux amans se sont jetés dans une barque pour s’éloigner de Venise. Leur esquif les entraîne peu à peu, au soulagement de leurs cœurs, loin des rives où toutes les douleurs, tous les dangers se sont conjurés contre eux ; mais voici que la terre devient pour ces fugitifs comme une vision qui s’évanouit : la mer seule répond à leurs regards. Perdus entre le ciel et les flots, ils éprouvent une impression étrange. Cette impression, je la connaissais, et je viens