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au barbet que rencontra un dimanche soir le docteur Faust de devenir le fatal démon que vous savez. C’était du reste un spirituel garçon, possédant le don providentiel de la légèreté et la qualité inappréciable de la bonne humeur. Plus d’une affinité secrète l’unissait à Fleminges, qu’il avait vu ailleurs qu’au régiment, et dont il comprenait maint trait saillant, quoique invisible au regard du grand nombre.

L’ami se laissa tomber sur un tabouret, se composa un grog avec beaucoup de soin, alluma un cigare, et s’écria ensuite d’un ton joyeux : — Ma foi, j’ai passé une matinée charmante. Une femme… — Faut-il donc, interrompit Richard, qu’il y ait éternellement une femme dans toute chose ?… Je t’ai appelé précisément pour oublier ce funeste élément de notre vie, et voici que tu entonnes, à peine assis, une ritournelle amoureuse. Au diable l’amour ! je dirai de lui comme Lovelace : je le hais parce qu’il est mon maître.

— L’amour, reprit l’ami, n’a rien à voir dans mon affaire. Mon infante est tout simplement une de ces femmes comme nous en connaissons beaucoup. Ce qui la distingue, c’est qu’elle a seize ans, une. taille à tenir dans des mains plus petites que les miennes, et deux grands yeux d’un noir de raisin…

— Es-tu bien sûr de ne pas être amoureux d’elle ?

— Pourquoi me dis-tu cette folie ?

— Pourquoi ? Eh bien ! écoute la terrible chose.

Et Fleminges, qui était évidemment en proie au besoin de la confidence, commença par la théorie que démontre cette véridique histoire. Il affirma que les gens étrangers à tout principe de vie régulière étaient destinés à souffrir précisément par l’espèce de femmes qu’ils avaient traitées avec le plus de superbe. — Quelle Némésis, s’écria-t-il, est armée du fouet qui doit nous châtier, nous autres libertins, comme on disait au siècle dernier ? — C’est Margot,… mon Dieu, oui, la Margot que nous avons aimée, puis délaissée. Plus tard nous la retrouvons, elle est brune peut-être au lieu d’être blonde, mais elle compte toujours par printemps ; elle possède ce maître trésor de la jeunesse. Nous autres, nous comptons déjà par une série de saisons ingrates sans fleurs et sans fruits, nous avons pour tout bien ce lingot de plomb appelé l’expérience, valeur si embarrassante et si lourde, que, ne sachant plus qu’en faire, on finit par s’en délivrer. Margot a beau jeu alors pour asservir celui qui la domina jadis. Elle le charge de liens et l’emmène où il lui plaît. Quand elle le tient à l’écart, ne connaissant qu’elle, ne relevant que d’elle, Dieu sait quels traitemens elle lui prodigue. La poésie nous montre don Juan saisi par la main glacée du commandeur. La poésie a raison, c’est son métier et son devoir de donner aux choses