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Julie était resté abandonné. Aussi jugez de l’étonnement dont fut saisie notre ville, quand on apprit que le brillant, le prodigue Olivier rentrait dans la maison de ses pères, se faisait citoyen d’Herthal, et que ce miracle était l’œuvre de Julie. Malheureusement nous devions avoir motif à nous étonner encore plus. Un jour on apprit que la veuve Marguen devenait marquise de Restaud. Je poussai comme tout le monde mainte exclamation de surprise, et ce mariage ne me parut pourtant qu’un événement d’un ordre fort connu qu’il était impossible de ne pas prévoir. Il est des routes au bout desquelles ces sortes d’unions se dressent fatalement comme la potence au bout de certains autres chemins. Notre pauvre Olivier nous fut alors enlevé pour toujours. Ceux qui l’avaient le plus aimé, ceux qui l’avaient le plus envié s’éloignèrent de lui avec ce sentiment de blâme, d’aversion, presque d’horreur qu’on professe encore en province pour les mésalliances dont la passion est la seule origine. Mlle de La Ruberie me disait hier soir qu’elle avait cru longtemps que le marquis Olivier de Restaud avait commis un grand crime, et qu’étant enfant, elle avait peur lorsqu’elle passait devant sa maison. Aujourd’hui Olivier et Julie sont morts tous deux, Olivier a disparu le premier ; une maladie aiguë a récemment enlevé Julie, qui était à sa mort presque aussi belle encore que son portrait. La maison qui vous a séduit est revenue à Mme de Bressange. C’est à cette respectable douairière que vous devrez adresser votre déclaration d’amour pour ce gîte. Elle vous l’abandonnera, je crois, avec précipitation, sans vous faire de difficulté sur aucun point, comme on donne au premier épouseur venu la main d’une fille de condition qui a mésusé de sa jeunesse. Mme de Bressange a juré de ne revoir jamais les lieux où son frère a si tristement fini. Maintenant, mon cher monsieur, que vous en connaissez la chronique, votre maison vous charme-t-elle encore, ou vous inspire-t-elle le même effroi qu’à Mlle de La Ruberie ?

— Ma foi, repartit Fleminges, je conserve ma première impression, et j’irai demain faire ma demande formelle à Mme de Bressange.

— Si ce logis allait vous porter malheur ! reprit en riant M. de Mière. »


III

Quelques jours après cette conversation, Fleminges était en pleine possession du logis qu’il avait désiré ; quelques semaines plus tard, au logis il avait joint une maîtresse, et cette maîtresse, ma foi, je vous la nommerai, quoiqu’il y ait là peut-être une indiscrétion