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dénoûment avec sa morne et impitoyable vulgarité. Herthal était d’un charmant effet dans mon esprit, derrière vingt villes à traverser ; à présent que le voilà, je lui trouve une sotte figure. J’étais né pour être nomade. Le désert est divin, parce qu’on ne s’y arrête nulle part. La vie humaine y glisse et s’y joue comme le soleil, de là ces songes que l’on nomme le mirage.

Cet accès intempestif de poésie prouvait que l’âme de Fleminges était troublée. Ce trouble ne venait point d’un voyage fini, il venait d’un événement inconnu prêt à se montrer. À l’approche des orages qui doivent les bouleverser, point de natures qui ne frissonnent. Celles où les hautes pensées n’ont pas tout à fait disparu, abattues comme les grands arbres par les souffles mystérieux du ciel ou par la main intéressée des hommes, celles-là ont parfois des frémissemens harmonieux. Mon Dieu, oui, ce sont là phénomènes fréquens du monde invisible, et le monde invisible existe même sous un dolman.


II

La première chose à faire quand on arrive dans une garnison nouvelle, c’est d’y chercher un logement. Un gîte commode et une femme qui ne soit pas un tyran trop porté aux exactions, voilà ce que poursuit l’officier dans tous les lieux où ses destins le conduisent. Fleminges se mit en quête du logement, espérant que la femme s’offrirait ensuite. Il était par sa vie et par sa nature disposé à s’accommoder de tous les abris. Depuis nombre d’années, il avait couché quelquefois sous le ciel, souvent sous la tente ; toutes les recherches du luxe lui étaient devenues étrangères ; mais cependant il demandait à ses résidences les plus passagères certaines conditions que l’on ne rencontre pas toujours. Il avait les goûts que l’écrivain héraldique Vulson de La Colombière prête aux merlettes : il aimait les vieilles masures. Il eût préféré la tour du lord Ravenswood à l’entre-sol le plus élégant de la rue de Rivoli. Or les logis occupés d’ordinaire à Herthal par les officiers n’avaient point pour la plupart de quoi répondre à ses désirs. C’étaient d’honnêtes chambres situées chez des boulangers, chez des tonneliers, chez des brasseurs, avec des fenêtres donnant sur la rue, de véritables petits enfers bourgeois pour des esprits d’une certaine nature. Fleminges avait passé une journée tout entière à visiter cette série de maussades demeures, et se trouvait encore sur le pavé quand, se promenant le soir solitairement après son dîner, un écriteau attira son regard. C’était derrière l’église, au fond d’une rue déserte, une vaste maison à l’air abandonné, la véritable maison de province,