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trie, voilà tout ce qu’on nomme les cœurs et les esprits d’élite qui, comme autant de harpes séraphiques, s’unit dans un concert de louanges. Quelle sensible lady, quelle jeune miss refusera son affectueux enthousiasme à la Graziella des Confidences ? Comment ne pas aimer un charmant et discret fantôme marchant d’un pas si léger dans ce monde, qu’il n’y heurte personne, qu’il n’y dérange rien ? On lui offre de toutes parts cette tendre sympathie que l’on prodigue volontiers aux ombres ; mais donnez à cet être si caressé tout à l’heure le sang et la chair, toutes les forces et toute la plénitude de la vie, puis à ces esprits d’élite que le spectre charmait présentez la créature vivante, non point répugnante, non point vulgaire, parée au contraire de tous ses attraits, des vrais attraits qu’elle tient de Dieu, et vous verrez comment la pauvre fille sera reçue ! Ce ne sera pas seulement contre elle qu’on se déchaînera, ce sera encore, et par-dessus tout, contre l’homme qui aura pu l’aimer. Eh bien ! il faut l’avouer cependant, cet homme-là, c’est chacun de nous.

Oui, chaque homme rencontre d’ordinaire une femme qui, séparée de lui par tout ce qui peut séparer deux créatures humaines en ce monde, froissant tous ses intérêts, choquant toutes ses vanités, l’attire au nom de ce qu’a de plus vif et de plus secret la grâce irrésistible de l’amour. Cette femme apparaît d’habitude à deux époques bien différentes de la vie : à l’âge où le cœur commence à s’ouvrir, — c’est alors une apparition rarement redoutable, — et à l’âge au contraire où il se ferme, lassé par la chaleur du jour, mais doucement troublé en même temps par les premiers souffles de la nuit. Cette seconde apparition est terrible. Ne riez pas trop de ma théorie. Je vais l’appuyer sur des faits qui rendront, je l’espère, toute ma pensée, et qui pour plus d’un, je crois, seront des souvenirs.

Jamais aucun homme ne m’a mieux représenté le parfait officier de cavalerie légère que Richard de Fleminges, il y a de cela peu de temps encore. Son destin l’avait conduit par des voies singulières à ce genre de perfection qu’il n’avait pas atteint tout d’un coup. Épris longtemps du monde, où tout avait souri à ses débuts, il avait connu ces amours puissantes et raffinées qui, malgré tant de bouleversemens extérieurs, sont depuis des siècles la vie intime d’une société tout entière. S’il avait eu le goût et s’il avait reçu le don d’écrire, il aurait pu faire un livre semblable à l’œuvre (me pardonnent des opinions illustres !) d’une des âmes les plus tendres et les plus blessées qu’il y ait jamais eu suivant moi : je veux dire les Maximes de M. de La Rochefoucauld. Pour plaire à certains yeux qui répandent encore à présent peut-être une lumière sereine et lim-