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L'ECUEIL
DE LOVELACE



I

Je vais raconter une histoire qui froissera quelques esprits, j’en suis sûr, parce qu’elle renferme l’élément dont nous nous accommodons le moins : la vérité. Ce n’est pas toutefois que des exagérations évidentes, qu’il ne m’était pas loisible de faire disparaître, ne s’y rencontrent çà et là. Dans l’humble jardin où j’invite à venir errer quelques instans l’ami passager et inattendu que nous donne la destinée des livres, plus d’une illusion étale sur sa haute tige ses fleurs fantasques, et, je l’espère, cette plante merveilleuse dont tous les poètes affirment l’existence, l’idéal, pousse au milieu d’un gazon solitaire ; mais aucune fabrique ne s’y élève : point de petits temples, de ruines factices, de statues en marbre ou même en plâtre. Eh bien ! ces ornemens sont nécessaires pour faire accepter à la plupart de nous ce qu’on appelle la nature. Les êtres et les choses, tels qu’ils échappent au formidable génie dont ce monde est le jouet mystérieux, inquiètent et révoltent nombre de gens réputés pourtant sages et disciplinés entre tous, — oui, les révoltent, et je le prouve. Représentez-vous une créature appartenant aux humbles conditions de cette vie, avec des couleurs, sous des formes qui l’arrachent à la réalité, et vous entrez dans une des rêveries les plus chères de tout temps aux imaginations aristocratiques. Pour aborder sur-le-champ mon sujet, qu’un grand poète, avec le souvenir de deux yeux noirs qu’il a vus briller dans sa jeunesse sous un toit de pêcheur, vous crée une sorte d’être divin dont vous ne sauriez dire la patrie,