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présentans de 1815, aspire à mourir là où il a vécu pendant longtemps, à la cour de cassation, qu’il n’avait quittée que par accident.

De tout ce qui arrive et de tout ce qui passe sous les yeux souvent étonnés des contemporains, il résulte une impression qu’on a quelque peine à définir. Tout est changement dans les hommes et dans les choses, et les hommes eux-mêmes, en s’en allant ou en reparaissant, semblent n’être là que pour mieux marquer la fuite des choses. Le monde actuel est un théâtre de permanentes évolutions où l’on voit se transformer incessamment tout ce qu’il y a de plus sérieux et tout ce qu’il y a de plus léger, les lois, les idées, les mœurs, les goûts, les intérêts, aussi bien que les modes. Ne dirait-on pas que la société tout entière se trouve toujours placée dans une sorte d’indécision crépusculaire, entre le souvenir de ce qu’elle a été et le pressentiment de l’état nouveau qu’on lui promet ? Elle marche à pas pressés dans ces voies nouvelles qui lui sont ouvertes, non sans regretter quelquefois cependant ce qu’elle a eu de meilleur, ce qui a pu faire un jour sa dignité ou sa grâce. Que cette société moderne ait ses grandeurs et ses beaux côtés, qu’elle compte plus d’un progrès, qui le niera ? Cela ne veut point dire pourtant que toutes les transformations soient des progrès, et que les nouveautés les mieux constatées suppléent heureusement à tout ce qui fit le charme de la société française. Il a pris fantaisie à une femme qui a obtenu des succès par quelques œuvres dramatiques d’écrire un petit livre sur les Salons de Paris, et ce petit livre a un autre titre encore, à la fois doux et triste, celui des Foyers éteints. Mme  Ancelot, l’auteur des Salons de Paris, rassemble ses souvenirs sur quelques-unes de ces réunions qui ont brillé autrefois, et qui eurent même leur célébrité littéraire ou mondaine. Elle vous conduira dans le salon du baron Gérard, où vous verrez des peintres et des poètes, des grands seigneurs et des diplomates, l’abbé de Pradt conversant avec M. de Humboldt. Puis, si vous le voulez, franchissez cette porte soigneusement gardée : vous serez dans un de ces asiles choisis où le jour est ménagé, où l’on parle à demi-voix. C’est moins un salon qu’un sanctuaire ; Chateaubriand est le dieu, et Mme  Récamier est la paisible gardienne de cette gloire. Allez un peu plus loin ; vous vous trouverez à l’Arsenal, dans la maison du plus spirituel désabusé de notre temps, de Charles Nodier en personne, l’homme qui a eu le plus d’aventures par l’imagination, qui a su le mieux conter, et qui a vu passer autour de lui tout ce qui avait un nom. Ce ne sont point là certainement tous les salons de Paris. Mme  Ancelot raconte ce qu’elle a vu, ce qu’elle a connu, et même elle aiguise plus d’un trait piquant, lancé avec une dextérité de main toute féminine ; mais il ne s’agit point ici de l’esprit de Mme  Ancelot et de quelques-uns de ces salons dont l’auteur trace la monographie : il s’agit plutôt de l’essence même de ces réunions, qui ont été pendant longtemps le produit d’un esprit de sociabilité particulier à la France, et dont le nombre va chaque jour en diminuant. Ce sont des foyers éteints. Les salons anciens n’existent plus, les salons nouveaux deviennent rares.

À quoi cela tient-il ? À bien des causes sans doute : à la politique, qui commence par diviser les hommes et qui finit par les disperser périodiquement, aux intérêts nouveaux qui ont prévalu, à la vie affairée et besoigneuse qui s’est développée, au travail de l’esprit démocratique, qui émousse la distinc-