Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/69

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vre de ces grands maîtres en des leçons applaudies de la foule. M. Charles Gutzkow aussi habite Dresde, et bien que la série de ses chutes au théâtre commence à devenir longue, on ne saurait passer son nom sous silence. C’est à Dresde encore que vivent deux écrivains d’un rare talent, deux des hommes qui se sont annoncés dans ces derniers temps avec le plus d’éclat : un poète généreux, M. Julius Hammer, et surtout l’énergique auteur du drame des Macchabées et du roman intitulé Entre Ciel et Terre, M. Otto Ludwig. De tous ces écrivains de Dresde, et je n’ai pas donné la liste entière, M. Berthold Auerbach est le plus célèbre : c’est déjà un maître, un chef d’école, et cette position oblige. Une sorte de responsabilité pèse sur lui, on lui demande du moins des leçons et des modèles. Pourquoi continuerait-il encore ses histoires de paysans ? Ce qui était d’abord une inspiration franche et originale ne serait bientôt plus qu’une affaire de métier. L’Écrin du Compère aurait dû être son dernier mot sur ce point. Au lieu de tourner encore ses yeux vers la Forêt-Noire, qu’il regarde l’Allemagne entière, et que le spectacle de la vie renouvelle chez lui les sources de l’invention.

Ce conseil ne s’adresse pas seulement à M. Berthold Auerbach ; tous les écrivains de l’Allemagne qui produisent aujourd’hui leur pensée sous la forme du roman ont besoin qu’on leur tienne le même langage. C’est la peinture de la société vivante que doivent se proposer les conteurs, s’ils veulent relever un genre qui a eu jadis sa période d’éclat et qui décline de jour en jour. La plupart des romans écrits depuis une dizaine d’années sont empruntés à l’histoire littéraire ou inspirés des mœurs rustiques. On est toujours sûr d’intéresser le public studieux de l’Allemagne en lui parlant des hommes qui ont illustré la patrie dans la poésie ou dans les arts ; il n’est pas besoin pour cela de grands frais d’invention : on compte sur l’histoire elle-même, sur l’influence d’un nom glorieux, et l’auteur s’habitue à se contenter aisément. Aussi, pour un ouvrage bien fait, que de compositions médiocres ! M. Otto Muller a tracé un tableau touchant dans sa Charlotte Ackermann, M. Hermann Kurz, dans son roman sur la jeunesse de Schiller, fait preuve de talent et de goût ; mais ont-ils créé l’un et l’autre une œuvre qui puisse rester ? Ces sortes de romans, et je cite les meilleurs, ne sont pour ainsi dire que les illustrations de l’histoire littéraire, une série de dessins et de portraits destinés à éclairer le texte, et qui n’auraient par eux-mêmes qu’un intérêt secondaire. Quant aux romans rustiques, c’est un procédé qui s’apprend ; tant qu’un sentiment sincère a dicté ces récits de village, tant que l’étude de la nature populaire a été un moyen d’échapper à la fastidieuse élégance des conteurs de salon, cette inspiration a été féconde ; maintenant elle est épuisée à son tour,