Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/670

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peut abroger tout entière[1], de cette loi, dit-il encore, dont nous ne pouvons être relevés ni par décret du sénat, ni par plébiscite.

Sous cette conviction, apprise des sages de la Grèce, mais agrandie par le spectacle de Rome, le consul romain, loin d’attacher à la puissance du nombre le droit de tout faire et de trouver légitime la dictature, pourvu qu’elle soit au nom de tous, déclarait que le but de la loi devait être que le plus grand nombre n’eût pas le plus de pouvoir. En réponse à de lâches sophismes de tous les temps sur la distinction du droit positif et de la justice, ou plutôt sur la nécessité d’une seconde justice qu’on appellerait politique, et qui n’appartiendrait qu’au plus fort, soit la multitude, soit un maître, il ajoutait : Non-seulement il est faux que la république ne puisse se gouverner sans une part d’injustice ; mais le vrai, c’est qu’elle ne peut être gouvernée qu’avec une suprême justice.

C’étaient ces belles maximes du droit public et civil que le christianisme, à sa naissance, trouvait dans quelques sages du monde païen et qu’il opposait vainement à la tyrannie des lois impériales. La Cité de Dieu empruntait à la République de Platon ces nobles paroles que nous adresse saint Augustin : « Là où la justice n’est pas, le droit ne peut pas être ; car ce qui se fait au nom du droit doit être juste, et ce qui est injuste en soi ne peut se faire au nom du droit. On ne doit pas, en effet, appeler droit certaines décisions iniques des hommes, car eux-mêmes déclarent que le droit est ce qui émane des sources de la justice ; et c’est faussement qu’il a été dit, par quelques esprits malavisés, que le droit est ce qui est utile au plus puissant[2]. »

Le monde, à travers le fléau des invasions barbares et la ruine des anciennes sociétés, entrevit encore la lumière de ces saintes et pures doctrines, que le christianisme avait reconnues siennes et qu’il marquait de son divin sceau. Le moyen âge leur dut par intervalle ce qu’il compta de jours heureux, ce qu’il vit briller de grands hommes, un pape Léon le Grand, un empereur Othon, un saint Louis, un saint Bernard, un Suger.

Si plus tard la corruption raffinée de l’Italie, les convoitises de ses états rivaux, le mélange de grandes lumières avec des vices grossiers, vint altérer cette belle tradition des sages et des saints, la

  1. Huic legi nec obrogari fas est, neque derogari ex hac aliquid licet, neque tota abrogari potest. — Lact. lib. VI, cap. VIII.
  2. Ubi vero justitia non est, nec jus potest esse : qnod enim jure fit, profecto jure fit ; quod autem fit injuste, nec jure fieri potest. Non enim jura dicencia sunt, vel putanda, iniqua hominum constituta, cùm illud etiam ipsi jus esse dicant, quod de justitiae fonte manaverit, falsumque sit, quod a quibusdam non recte sentientibus dici solet, id jus esse, quod ei, qui plus potest, utile est. — August. Civit. Dei, lib. XIX, c. XXI.