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On ne retrouvera pas sans intérêt ces vérités premières et durables dans le langage si ferme et si sensé de Xénophon, homme de guerre, philosophe, historien, longtemps exilé de son orageuse patrie. Qu’il nous soit donc permis d’opposer à l’éloge ou au regret de la dictature, même démocratique, quelques-unes des judicieuses et fines déductions que Xénophon nous donne comme un dialogue entre Alcibiade et Périclès[1].

« On raconte qu’Alcibiade, avant d’être à l’âge de vingt ans, eut avec Périclès, son tuteur et le premier magistrat de la ville, l’entretien que voici, sur les lois : Dis-moi, Périclès, pourrais-tu m’enseigner ce que c’est que la loi ? — Parfaitement, répondit Périclès. — Eh bien ! au nom des dieux, enseigne-le-moi, dit Alcibiade, car j’entends louer certaines gens en qualité d’hommes amis des lois, et j’imagine qu’on ne peut justement obtenir cette louange, si on ne sait ce que c’est que la loi. — Tu désires, ô Alcibiade, reprit Périclès, une chose qui n’a rien de difficile, quand tu veux savoir ce qu’est la loi. Sont lois toutes les choses qu’a décrétées le peuple réuni, délibérant et prescrivant ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. — Mais est-ce le bien que par les lois on déclare obligatoire ou le mal ? — Le bien, certes, ô jeune homme : le mal, jamais. — Mais ce qui arrive dans l’oligarchie, lorsqu’un petit nombre seulement décrète ce qu’on doit faire, qu’est-ce que cela ? — Tout ce que le pouvoir maître de la cité, délibérant et statuant, prescrit s’appelle loi. — Et, reprit Alcibiade, si un tyran, maître de la ville, prescrit aux citoyens ce qu’ils doivent faire, cela aussi est-il loi ? — Oui, tout ce qu’un tyran, devenu maître, prescrit, s’appelle aussi loi. — Qu’est-ce donc que la violence et l’illégalité, ô Périclès ? N’est-ce pas l’action du puissant, alors que, non par persuasion, mais par force, il contraint le plus faible à faire ce qu’il lui plaît à lui ? — Je le pense ainsi, dit Périclès. — Et le tyran qui, sans avoir persuadé les citoyens, les contraint d’agir d’après ses décrets, est-il ennemi des lois ? — Je le pense, dit Périclès, et je désavoue cette assertion, que les choses qu’un tyran décrète, sans assentiment obtenu, soient lois. — Et les choses qu’un petit nombre de puissans décrètent, sans les avoir persuadées au grand nombre, dirons-nous que ce soit la violence, ou non ? — Toutes les choses, dit Périclès, que quelqu’un contraint quelqu’un de faire, sans assentiment préalable, mais par violence ou autrement, sont violences plutôt que lois. — Et ce que tout le peuple, dominant sur les riches, décrète, sans leur libre assentiment, sera donc aussi violence plutôt que loi ? — Tout à fait, reprit Périclès, ô Alcibiade. »

  1. Xénoph. Socrat. memor, lib. i, c. ii, 40.