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Ici, au contraire, on était frappé du langage si modéré, de l’esprit de liberté si scrupuleux et si légal que Cicéron avait mis dans la bouche de Scipion Émilien, de ce héros vertueux, l’adversaire et la victime de cette démocratie dont le dernier triomphe devait aboutir à la domination des césars. On remarquait comment la stabilité d’un principe monarchique était donnée, dans le vœu de l’illustre Romain, pour contre-poids à l’action des assemblées et à la puissance du nombre ; mais à Varsovie, ou du moins dans la chaire du professeur, armé d’office contre la publication de M. le cardinal Mai, il n’en était pas ainsi. Le palimpseste déchiffré par le pieux érudit restait dénoncé comme un avant-coureur de l’esprit séditieux, si bien réprimé dans le grand-duché. La doctrine de la division des pouvoirs indiquée dans ces pages antiques, le principe surtout d’une justice absolue supérieure à la force et inviolable à la toute-puissance, était signalé comme une pernicieuse utopie et un premier essai des doctrines anarchiques dont s’inquiétait l’Europe en 1825.

Le lieu et la date de cette réfutation en affaiblissaient beaucoup l’autorité, et dans les nombreuses éditions du texte latin qui se firent en Italie, en Allemagne, en Angleterre, personne ne se plaignit des maximes de justice et de liberté à recueillir ou à conclure des nouveaux fragmens de la République. Un célèbre orateur anglais, M. Brougham, en cita même avec admiration quelques lignes dans une séance de la chambre des communes.

En serait-il autrement aujourd’hui, je ne dis pas à la chambre des communes ou même des lords de l’empire britannique, mais dans des pays devenus moins parlementaires ? Je suis tenté de le croire, quand je vois un ancien député, un brillant orateur, illustré même par quelques-unes de ces nobles résistances qui sont les hauts faits de la tribune, ignorer ou désavouer les libres et invariables maximes de Cicéron comme de Montesquieu, et proclamer la dictature excellente et nécessaire, pourvu qu’elle soit souverainement démocratique.

Cette doctrine, il est vrai, non moins étrangère aux grands poètes de l’antiquité qu’à ses grands orateurs, M. de Lamartine la met dans une autre bouche que la sienne ; mais, en la citant de mémoire, avec les expressions littérales de M. Béranger, il déclare l’adopter pour son compte et n’y concevoir aucune réponse ; il se borne donc à transcrire les paroles mêmes du poète populaire, son ami, qu’il célèbre à si juste titre, mais qu’il félicite surtout en cette occasion d’avoir été très gouvernemental dans ses instincts[1]. « La républi-

  1. Cours de littérature, entretien 22e, p. 338.