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les mêmes personnages, les mêmes aventures, le même merveilleux qui alimentent l’imagination des romanciers. La littérature romanesque n’en est pas encore à prendre pour point de départ soit l’histoire, soit la réalité contemporaine ; elle n’aspire point encore à la vraisemblance[1].

Toutefois, sous l’influence du mouvement des esprits qui commencent à s’enquérir de l’antiquité, une nouvelle famille de héros romanesques est venue se joindre aux héros de la tradition populaire. Hector, Alexandre, César, disputent le terrain du roman aux paladins de Charlemagne et d’Arthur. Tantôt ces personnages anciens sont les héros d’une fiction où quelques faits de leur histoire disparaissent sous un amas de chimères ; tantôt, comme dans le roman de Perceforest, on voit les souvenirs confus de l’histoire ancienne rattachés le plus étrangement du monde à la partie, même mystique, du cycle breton. Perceforest est couronné roi de la Grande-Bretagne par Alexandre le Grand, il est vaincu par Jules César, il est converti au christianisme par un des descendans de Joseph d’Arimathie, qui a apporté en Angleterre le Saint-Graal, et il fonde la sacrée confrérie des chevaliers du Franc-Palais.

Ce n’est qu’au XVe siècle que la littérature romanesque semble vouloir s’affranchir de la tradition populaire et se rapprocher de la vérité historique et de la réalité contemporaine. Dans le roman intitulé le Triomphe des neuf Preux et dédié à Charles VIII, l’auteur choisit les personnages anciens et modernes qui paraissent avoir le plus de prise sur l’imagination des contemporains, et il raconte successivement leur histoire. Il introduit dans sa galerie d’abord trois héros de l’histoire sainte : Josué, David, Judas Macchabée ; puis trois païens : Hector, Alexandre, César, et enfin trois modernes : le personnage semi-fabuleux d’Arthur, Charlemagne, et un neuvième preux qui jusqu’ici ne paraît pas encore avoir jamais figuré dans la littérature romanesque, Godefroy de Bouillon, qui deviendra plus tard le héros du Tasse. La vie de ce personnage est racontée avec assez d’exactitude, et en général dans tout ce roman, en mettant de côté la portion légendaire de la biographie d’Arthur et de Charlemagne, l’histoire est bien moins falsifiée que dans les romans précédens. L’auteur, en terminant sa galerie, annonce qu’il a vu apparaître devant lui un dixième preux qui demande à son tour à être célébré, et ce dixième preux est un personnage historique qui n’est

  1. Nous écartons ici de l’histoire du roman proprement dit le fameux poème allégorique, philosophique, didactique et satirique intitulé le Roman de la Rose, dont une portion appartient au XIIIe et l’autre au commencement du XIVe siècle, parce que cet ouvrage n’a rien de romanesque, et qu’il représente plutôt une dégénération de la poésie épique qu’un signe de la transition de cette poésie au roman.