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Ces fleurs-là, le compère les voit toujours. Rien de ce qui peut relever la condition de l’homme n’échappe à sa clairvoyance. C’est une inspiration démocratique dans le meilleur sens qu’on puisse donner à ce mot ; mais pourquoi employer ce terme, quand nous en avons un autre plus juste et bien plus beau ? C’est une inspiration évangélique, car cet instinct si vif du mérite humble et caché n’est point mêlé d’orgueil : le compère a conservé le sentiment et le besoin du respect.

Un des meilleurs chapitres de l’Écrin du Compère, c’est celui que l’auteur a intitulé les Momumens de l’empereur Joseph. Joseph II, malgré ses fautes et surtout malgré ce qu’on a fait pour défigurer sa vie et noircir sa mémoire, est resté populaire dans la plus grande partie de l’Allemagne. Maints récits, maints témoignages de sa bonté ont passé de bouche en bouche, embellis par l’imagination de tous : il a une légende enfin, et le compère l’a recueillie avec piété. L’empereur Joseph a été jugé bien diversement. Les hommes qui voudraient faire du catholicisme un parti ne prononcent son nom que pour lui jeter l’outrage ; son amour passionné du bien, ses généreuses imprudences, ses intentions si profondément humaines et chrétiennes sont pour eux lettre close : ils ne voient que ses erreurs. Les philosophes eux-mêmes, les politiques libéraux s’embarrassent souvent dans les réserves qu’ils sont obligés de faire. Écoutez ce qu’en pense un des amis du compère, et dites-moi si vous connaissez sur Joseph II un jugement plus simple et plus sensé :


« Lorsqu’on dit l’empereur Joseph, chacun sait qu’il s’agit de Joseph II d’Allemagne, qui vivait à Vienne dans le siècle passé. Et ce n’est pas son moindre titre de gloire qu’il ne porte pas de surnom, qu’on n’ait pas besoin de l’appeler Joseph le Grand, Joseph le Bon, Joseph le Juste, mais qu’il suffise de dire l’empereur Joseph pour que tout le monde sache de qui il est question.

« A Vienne, dans la cour du Burg, il y a une belle et grande place où s’élève la statue de bronze de l’empereur Joseph assis sur son cheval.

« Malheureusement le sculpteur l’a vêtu à l’antique, et sous ce costume romain il ne reste que bien peu de chose de ses allures et de sa physionomie. Cependant tout récemment encore on a pensé à lui, et ce n’est pas sans raison que le peuple en 1848 a placé dans la main de la statue de l’empereur le drapeau rouge, noir et or. Il vit encore dans des mémoires fidèles, et c’était bien à lui de porter dans sa main de bronze la bannière de l’unité et de la liberté allemandes, — qu’on lui a retirée depuis.

« Le compère a un ami qui n’est jamais passé sur la place Joseph sans ôter respectueusement son chapeau devant la statue de l’empereur. Certaines gens, qui s’en aperçurent, lui demandèrent d’un l’on railleur l’explication de cette singulière habitude ; voici la réponse qu’il leur fit :

« Il n’y a pas de joie plus belle que celle qu’on éprouve en aimant, mieux encore en respectant quelqu’un de toutes les forces de son ame ; je dis mieux