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peuvent également rencontrer la vogue, tant est grande la diversité des tendances qui aujourd’hui se disputent les esprits et les cœurs.

Il est certain néanmoins que, dans ce mélange si confus qu’offre maintenant la littérature romanesque, on peut encore saisir et constater quelques nuances dominantes, quelques sentimens qui ont plus de prise que les autres sur les masses, car il n’est pas d’époque, si discordante qu’elle soit sous le rapport intellectuel et moral, qui n’offre quelques traits caractéristiques qui la détachent du passé, et qui lui donnent en quelque sorte une vie personnelle. C’est ainsi qu’au fond un très grand nombre de romans contemporains trahissent une disposition maladive et inquiète, un esprit de révolte contre la règle sous toutes ses formes, mais en même temps l’impossibilité de s’arranger d’un désordre insouciant ou cynique, et par suite la recherche d’une règle plus commode et plus élastique, un penchant à donner au vice les allures de la vertu et réciproquement, ou bien à faire sortir la pureté d’une source impure, et à placer la dépravation dans une atmosphère qui prépare d’ordinaire à l’honnêteté un besoin de s’en prendre à la société des faiblesses et des misères de la nature humaine, — de vagues aspirations vers un ordre de choses où l’homme pourrait être à la fois vertueux et heureux sans sacrifice et sans combat, et où, à l’aide de combinaisons ingénieuses, on composerait une société grande et forte avec des individus moralement faibles et petits. Ce sont bien là, si nous ne nous trompons, quelques-uns des traits les plus généraux et les plus accusés de la littérature romanesque à notre époque ; elle en présente sans doute beaucoup d’autres du même genre, mais elle en présente aussi de très différens, elle en présente même qui sont l’opposé de ceux que nous venons d’indiquer. Le succès si éclatant et si prolongé des romans de Walter Scott par exemple suffit pour caractériser une période du XIXe siècle très étrangère aux tendances qui se manifestent de nos jours dans le roman ; mais c’est précisément parce qu’elle reproduit tous les changement, toutes les diversités et toutes les discordances du goût public, que cette littérature, avec la liberté de composition dont elle jouit et la variété de moyens dont elle dispose, est plus que jamais ce qu’elle a toujours été, — l’expression non pas la plus élevée, mais peut-être la plus complète de l’état moral et social d’une époque et d’un pays.

Considérée sous cet aspect, la littérature romanesque prend un intérêt qui ne dépend plus seulement de la valeur intrinsèque de ses productions à chaque époque, mais qui s’attache aussi aux transformations successives qu’elle a subies, aux rapports et aux contrastes qu’elle a présentés de siècle en siècle avec la réalité, à l’impulsion