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XVIIe et du XVIIIe siècle, comme il charmait jadis les rudes générations du moyen âge. De nos jours enfin, où la vie réelle est si remplie de labeurs, d’entreprises, de sollicitudes pour les uns et de distractions pour les autres, le roman, loin de perdre son prestige, est plus que jamais en possession de la popularité. L’instruction élémentaire, en se répandant parmi les masses, fait pénétrer le goût de ces sortes de lectures dans des régions où rien ne remplaçait encore le souvenir plus ou moins altéré des vieilles fictions du moyen âge. Ce résultat est surtout sensible depuis que le roman s’est associé à une autre puissance d’origine encore plus moderne : nous voulons parler du journal. La coalition de ces deux influences n’est pas un fait insignifiant, à quelque point de vue qu’on l’envisage. Cette combinaison, il est vrai, a compromis le roman au point de vue de l’art, mais elle a augmenté considérablement sa clientèle. Or les attributions du romancier sont illimitées : il touche à tout, embrasse tout, s’attaque à volonté dans ses fictions aux plus graves questions morales, religieuses ou sociales, et les tranche avec une audace que rien n’arrête, car elle ne connaît d’autres bornes que celles de l’imagination. Dès-lors, sans exagérer l’importance de la littérature romanesque et en accordant que pour les esprits mûrs et exercés la lecture des romans n’est qu’une récréation sans conséquence, on ne saurait nier que pour le grand nombre elle ne soit aussi un enseignement de chaque jour, par lequel s’insinuent dans les intelligences et dans les cœurs des idées et des impressions dont l’influence se fait plus ou moins sentir sur les actes de la vie. Il n’est personne qui puisse méconnaître la part de certains romans dans les mouvemens qui s’accomplissent au sein des sociétés. Si l’on voulait citer des exemples à l’appui, on n’aurait que l’embarras du choix. Considérée sous ce point de vue, c’est-à-dire comme un instrument de propagation du bien ou du mal, la littérature romanesque mérite déjà sa part dans l’histoire intellectuelle d’une nation. Ceux qui l’excluent ou l’effleurent dédaigneusement, en ne tenant compte que de ses apparences frivoles, font eux-mêmes preuve d’une grande frivolité.

S’il est vrai cependant que la littérature romanesque agisse jusqu’à un certain point sur les idées et les sentimens d’une époque, il est peut-être encore plus incontestable qu’elle est l’expression de ces idées et de ces sentimens : c’est même par la manière dont elle les exprime qu’elle les modifie plus ou moins. La popularité constante de ce genre littéraire, à travers toutes les variations qu’il a subies dans ses formes, s’explique surtout par ce fait, qu’il a été de tout temps, pour chaque génération, comme un miroir qui lui offrait une image d’elle-même, mais un miroir plus complaisant que fidèle, grossissant ou diminuant à volonté les objets qu’il réfléchit, et doué