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matière organique, tandis que l’orge en exige de 2 à 3, et le blé de 5 à 7. Il est donc probable, — et malgré leurs divergences extrêmes dans l’origine, M. Liebig et M. Boussingault me semblent arrivés à s’accorder sur ce point, — qu’il faut distinguer les plantes en deux catégories : l’une puise surtout son azote dans l’ammoniaque de l’air, l’autre en absorbe la plus grande partie par ses racines. D’ailleurs, même en suivant M. Liebig jusque dans la théorie un peu exclusive qu’il avait d’abord professée, et sur laquelle il est revenu depuis, même en supposant que tout l’azote assimilé provient de l’ammoniaque de l’air, il faudrait admettre que les engrais azotés sont utiles pourtant, soit en modifiant la composition de l’air au-dessus du champ qui les contient, soit en donnant au sol plus de division et augmentant le nombre de décompositions chimiques qui s’y passent. Notons bien pourtant ce point-ci, qui pour la pratique est le plus important, que les plantes à feuilles plus larges, comme la plupart des légumineuses, absorbent surtout l’ammoniaque de l’air, tandis que le blé se nourrit surtout par les racines. Il en résulte que les unes doivent moins épuiser la terre que les autres, et que l’opération qui consiste à enfouir une récolte verte, les lupins par exemple, est plus rationnelle que celle qui consisterait à enfouir du blé ou de l’avoine. Dans le second cas, le champ n’aurait rien perdu, il est vrai ; mais dans le premier il aurait gagné : presque tout l’azote que lui rendraient les tiges, les feuilles et les fleurs, aurait été soustrait à l’air. C’est dans ce sens qu’on dit improprement que certaines plantes fatiguent moins la terre que d’autres. L’expression est inexacte, mais l’idée est juste, et fondée sur les notions les plus saines et les mieux démontrées de la chimie.

On conçoit que je ne parle point en détail de toutes les discussions qui troubleraient l’esprit du lecteur peu habitué à discerner la vérité au milieu des expériences diverses et des théories qu’elles ont fondées. Il suffit de conclure que l’ammoniaque des matières organiques en décomposition et aussi les sels ammoniacaux sont d’excellens engrais. Et ainsi, quoi qu’on en ait dit, la théorie la plus raffinée est d’accord avec la routine, et les membres de l’Académie des Sciences pensent sur ce point comme le plus borné des cultivateurs. On peut encore tirer de là l’explication de bien des problèmes. Par leur décomposition, les matières organiques donnent naissance à de l’ammoniaque et à de l’acide carbonique, et par conséquent à du carbonate d’ammoniaque. Le fumier de ferme ne saurait échapper à cette loi. C’est donc un préjugé funeste qui oblige, dans bien des parties de la France, les agriculteurs à garder longtemps celui qu’ils enlèvent de leurs étables pour le laisser pourrir, suivant leur expression. Les fumiers perdent ainsi une grande partie de leurs principes