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mes bras avec tant d’ivresse et d’élan ; que nos deux nez se cognèrent et que j’en eus le ciel dans l’âme. Ensuite elle m’entretint des souffrances qui lui étaient restées de sa maladie, et j’évitais de la toucher de peur de sentir à sa moindre étreinte toute mon ancienne passion se rallumer. Nous visitâmes tous les bosquets l’un après l’autre et nous assîmes dans chacun, c’était si bon ! Il faisait le plus beau clair de lune, et je ne cessais de lui demander des nouvelles de tout le monde. Un voisin, qui nous avait aidés jadis dans nos petits travaux, fut mandé et m’assura qu’il n’y avait pas huit jours qu’il parlait encore de moi ; le barbier aussi dut comparaître. Je retrouvai de vieilles chansons de moi qu’on s’était transmises, et jusqu’à une voiture que j’avais peinte. Nous causâmes de mille bonnes histoires de cet heureux temps-là, et je vis que mon souvenir était aussi présent parmi eux que si je les avais, quittés depuis six mois à peine. Les parens furent excellens, ils me trouvaient rajeuni. Je passai la nuit à Sesenheim et ne m’éloignai que le lendemain au jour naissant de ce petit coin de terre où mes yeux se retourneront toujours avec bonheur, de ces êtres tout sympathiques avec qui je me sentais pour jamais assimilé. »


Idylle évanouie, frais roman des premières années dont les traces vont s’effaçant de plus en plus ! De leur correspondance on n’a jamais pu trouver que des fragmens dépareillés, et cependant ils s’écrivaient à chaque instant, « et quelque sujet qu’elle touchât, qu’elle vous racontât quelque chose de nouveau ou qu’elle revînt à d’anciens motifs, c’était toujours dans ses peintures, ses réflexions, ses digressions au courant de la plume, toujours même grâce flexible et même sûretés. » Tout porte à croire que les lettres de la pauvre Frédérique furent la proie avec tant d’autres de cet immense auto-da-fé qui précéda le voyage en Italie (1786). Quant à celles de Goethe, elles eurent le même sort et périrent également par les flammes. Sophie, la plus jeune des quatre filles du pasteur Brion, en avait trente qu’elle brûla finalement parce qu’elles compromettaient sa sœur. Et les lieux témoins de cette simple histoire, que sont-ils aujourd’hui ? Allez les voir : vous retrouverez le gai ruisseau qui babille à la même place, l’arbre où le poète a gravé le nom de sa chère maîtresse, et dans cet arbre, toujours trillant et modulant au clair de lune, les petits-enfans des rossignols dont la chanson fit les délices de l’heureux couple. Mais le paysage, la maison, quelle mélancolie ! Vous vous étiez figuré l’avenante habitation d’un vicaire de Wakefield, un bâtiment commode assis sur le penchant de la colline, à droite le ruisseau qui clapote dans la prairie où paît la vache, où l’abeille bourdonne ; par derrière, le verger plein de légumes et de fruits. Hélas ! c’était bon pour autrefois ! Une masure badigeonnée de jaune, triviale, démantelée, à moitié croulante, voilà le presbytère d’aujourd’hui. Tout auprès est venu s’installer un cabaret qui rit et chante vis-à-vis du cimetière également abandonné, également