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toujours demeure, comme retenu malgré lui, mais au contraire le perpétuel épanouissement de l’âme, les actions de grâces aux dieux qu’on remercie de ce bonheur en les suppliant d’en prolonger la durée.


IV

Il était décidément de la famille, et rien de ce qui pouvait intéresser ces braves gens ne lui restait étranger. Célébrait-on une noce dans le voisinage, il voulait servir de témoin ; un baptême, il s’offrait aussitôt pour parrain. Héritages, procès, loteries, il s’occupait de tout, même de construire, derrière un frais rideau de hêtres et de peupliers, une maison nouvelle qu’on habiterait en commun. Ainsi passait le temps, ainsi les jours heureux se succédaient sans que sa main doucement comprimée par l’étreinte de cette pauvre enfant osât s’en dégager pour soulever les voiles de l’avenir.

L’avenir ! il fallut pourtant l’envisager, et quels ne furent pas son trouble et sa douleur en voyant le désordre qu’il avait jeté dans cette jeune âme, en se trouvant vis-à-vis d’engagemens tacites qu’il ne pouvait tenir, en sentant qu’il allait avoir à se séparer de cet être naïf, loyal, généreux, tout amour et toute confiance, qui s’était donné à lui sans réserve ! Mais, dira-t-on, cette rupture était-elle donc indispensable ? Goethe ne pouvait-il même à cette époque s’assurer par le mariage la possession légitime d’une telle personne ? En effet, cela, je crois, eût mieux valu que la conduite qu’il a tenue ; seulement il eût fallu avoir un certain courage et savoir marcher tout de suite à la conquête d’une indépendance qui, si elle avait sa gloire, n’était pas non plus sans périls. On sait quel pédant rigide et absolu, quel formaliste impraticable était le père de Goethe, et si un pareil homme eût jamais consenti à prêter l’oreille à des propositions d’alliance avec la famille d’un pauvre pasteur de campagne. Il eût donc fallu forcément abandonner tout, père, mère, sœur, et ne demander conseil qu’à son dévouement, à son travail, à son génie. Or, si l’on y pense, une semblable résolution était ce qu’il y avait de plus contraire au caractère de Goethe, qui déclina toute sa vie les responsabilités, et dont le cœur ne fut jamais propre à ces combats que certaines âmes vigoureuses engagent hardiment avec les circonstances. À cette amertume de la séparation devait se joindre pour Goethe le remords d’avoir entretenu dans l’âme de la pauvre Frédérique des illusions dont la perte ferait inévitablement le désespoir de sa vie. Lui-même avoue cette faute et la déplore dans un langage où la grandeur du style semble venir en aide au trouble de la conscience. « Ces inclinations de jeunesse prises légèrement