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au soir, et je puis te dire, bonne Lucie, que nous venons d’avoir là deux journées comme notre cher Sesenheim n’en avait jamais vu. On n’a fait que rire et plaisanter, et c’était dans toute la maison un mouvement, une joie que je n’essaierai pas de te décrire. Figure-toi qu’il s’était déguisé, et que personne entre nous ne se doutait que c’était là le joyeux garnement dont tout le monde raffole, et qui compose des vers si charmans ! Weyland, qui jouait à merveille son rôle de compère, le présenta à ma mère comme un étudiant appliqué, honnête et besoigneux, auquel il désirait procurer quelque distraction. Mon père s’entretint avec lui des affaires de son ministère, et le bon apôtre, pincé dans sa longue lévite grise, s’offrait du meilleur cœur à venir prêcher de temps en temps. Nous avons tous donné dans le panneau, quoique ma mère prétende avoir eu dès le premier abord l’idée d’une mascarade. Et maintenant écoute.

« Dimanche matin, nous faisions une promenade du côté du champ du moulin et causions de l’étudiant à la capote grise, qui s’était esquivé de bonne heure sans prendre la peine de saluer personne, lorsque nous rencontrons George de Drusenheim, vêtu de ses habits du dimanche et portant quelque chose d’enveloppé dans une serviette. — Bonjour, George ! m’écrié-je du plus loin que je l’aperçois, que portes-tu là ? — Une galette, répond-il en m’ôtant son chapeau. — Porte-la chez nous, dit alors Salome, et si ma mère n’y est pas, donne-la à Christel ; mais ne t’en va pas, attends, nous allons revenir. — Très bien ! — Et il s’éloigne.

« Avant-dîner, j’étais allée un moment rôder dans mon cher petit bois du rossignol. Qui trouvé-je là ? George assis sur mon banc et rêvant à l’écart. — George, lui dis-je, que fais-tu là ? — Mais en voici bien d’une autre, et quel est mon saisissement en reconnaissant dans le prétendu George notre visiteur d’hier au soir, qui se répand en excuses, disant que son affreuse redingote grise lui était devenue insupportable, et me suppliant d’être à l’avenir aimable et gracieuse pour le George de Strasbourg comme je paraissais l’être pour celui de Drusenheim ! Il ajouta que son intention avait d’abord été de courir à Strasbourg changer d’habits, mais que, chemin faisant, l’idée lui était venue de nous jouer ce nouveau tour. Mais nous ne sommes pas au bout. Presque au même instant arrivent Weyland et Salome, qui s’étonnent de me trouver là seule avec George. — Eh bien ! s’écrie ma sœur, ne vous gênez pas ! Monsieur George et mademoiselle Frédérique l’un près de l’autre,