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LA
JEUNESSE DE GOETHE

FREDERIQUE DE BRION



« Je n’ai jamais encore aussi bien compris que depuis mon arrivée à Strasbourg comment il se peut faire qu’on s’amuse infiniment sans que le cœur y soit pour rien. Des relations étendues avec ce que la ville offre de plus agréable, un commerce assidu avec des gens d’esprit et de plaisir occupent tout mon temps et ne me laissent pas une minute pour réfléchir et me sentir vivre. En un mot, mon existence actuelle peut se comparer à une partie de patins brillante et bruyante, et si tant est qu’elle ait beaucoup pour les oreilles, je me dois à moi-même d’avouer qu’elle n’a rien pour le cœur. » De qui vient cette confidence ? De Wolfgang Goethe, étudiant en droit et âgé alors de vingt-deux ans[1]. Et voyez l’ironie de la destinée : quinze jours à peine auront passé sur ces paroles, que ce cœur aujourd’hui si désœuvré sera peut-être occupé fort au-delà de ses souhaits. Ce séjour à Strasbourg va nous montrer Goethe dans le premier exercice de son indépendance. En même temps que l’énergique, la vivace activité de son esprit, vont se donner carrière les facultés d’une grande âme que nul obstacle ne détournera de son but, âme

  1. Nous tirons ce passage des Lettres et Notes [Briefe und Aufzaetze) de Goethe (1766-1780), recueillies par Schoell, Weimar 1846.