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de fixe, rien de régulier. Vous pourriez cependant vous adresser à Alexandre le maçon, ou bien encore à Christophe le fourreur… Mais, tenez, il me vient une idée qui pourrait bien être bonne. Connaissez-vous Athanase ? (Benjamin haussa les épaules avec un geste négatif.) Non ? continua le khandj ; ah ! c’est un étrange personnage ! Athanase est un Grec, un chien, mais habile, adroit, délié. Il ne possède rien, et il est toujours cousu d’argent. Athanase connaît tout le monde à Constantinople ; c’est l’homme qu’il vous faut.

— Ah !… Et où demeure-t-il ?

— Il demeure dans le quartier grec. Un de mes serviteurs vous conduira chez lui, si vous le voulez ; mais je crains que vous ne le trouviez pas : il est absent, j’en suis presque certain.

— Et savez-vous où il est ?

Le khandj sourit, secoua la tête, haussa les épaules, porta la main à sa barbe, puis à son nez, regarda Benjamin en dessous, puis le regarda en face, et, riant tout à fait, il répondit : — Je crois que je le sais, oui, et je ne suis pas le seul à le savoir. Ces choses-là se savent toujours.

Pendant que le khandj s’égayait ainsi sur le compte d’Athanase, la pensée de Benjamin s’était reportée, je ne sais pourquoi, sur le cheval richement harnaché qu’il venait de voir retenu à un arbre près de la maison de son père.

— L’endroit où se trouve Athanase est-il loin d’ici ? demanda le bey après un court silence.

— Oui, c’est loin pour un homme qui a tant d’affaires, et la femme qu’il va voir fait perdre bien du temps à ce pauvre Athanase.

— Il est donc question de mariage ?

— Non pas ! excellence, y pensez-vous ? un Grec épouser une musulmane ! Oh non ! il n’est pas question de mariage, mais il est amoureux, voilà tout.

— Amoureux d’une musulmane ! Comment l’a-t-il vue ? où la voit-il ? quelle est cette femme ?

— Elle habite la campagne avec sa famille, c’est-à-dire la famille de son mari, car elle est veuve depuis fort longtemps, et qui plus est, elle est vieille, puisqu’elle a une grande fille à marier ; mais ces chrétiens ont d’étranges goûts ! Athanase est amoureux de cette Sarah comme il le serait d’une femme de douze ans. Il la dit belle, spirituelle, gracieuse.

— Comment a-t-il l’audace de parler ainsi d’une musulmane ? N’a-t-elle pas des parens pour la défendre ?

— Elle a des parens, c’est vrai : un vieux beau-père qui n’y voit goutte, des beaux-frères qui ne songent qu’à manger et à dormir, Athanase fait toute sorte d’affaires avec les parens ; il vend la laine des chèvres du vieux paysan, le riz du frère aîné, les pommes du