culté d’emprunter indéfiniment de l’argent à tous les Juifs, Arméniens et Grecs de l’empire, dont la lâcheté naturelle n’est pas rassurée par vingt années d’un régime libéral, et qui n’ont pas encore osé se dire qu’ils peuvent aujourd’hui, sans mettre leur précieuse existence en péril, refuser de prêter leurs trésors aux plus grands pachas du monde.
Le jour même où Benjamin obtenait son congé et le titre de major, il entrait en pleine convalescence. Aussi une semaine s’était à peine écoulée depuis sa nomination, que le jeune paysan, devenu bey, reprenait gaiement le chemin de sa vallée natale, qu’il avait quittée triste et inquiet dix-huit mois auparavant. Il était bien changé. Les énergiques et sérieux instincts que Benjamin avait apportés de ses montagnes avaient aisément triomphé des influences délétères sous lesquelles son frère Osman avait succombé. Dupe en premier lieu d’Athanase et en butte plus tard aux mauvais traitemens de ses camarades, le jeune fils de Mehemmedda n’en sortait pas moins vainqueur des pénibles épreuves qui avaient marqué sa première rencontre avec les réalités de la vie. Son intelligence s’était rapidement développée, comme se développeraient tant d’intelligences que l’état présent de la société orientale condamne à sommeiller incultes, et qui n’attendent peut-être pour s’épanouir avec puissance qu’une impulsion favorable. Benjamin ne voyait pas moins clair maintenant dans son cœur que dans son esprit. Il savait qu’il aimait depuis sa plus tendre enfance, et il se disait tout bas qu’il n’était pas haï ; cependant il ne voulait former aucun projet d’avenir avant d’avoir revu Sarah, avant d’avoir obtenu d’elle une réponse sincère. De la décision de la belle veuve allait dépendre la destinée du jeune bey. Il se marierait avec Sarah, qui le suivrait à Constantinople, et alors il voyait s’ouvrir devant lui toute une perspective d’indicibles félicités, ou bien il retournerait seul et sans murmurer vers la capitale, où l’accomplissement des austères devoirs du chef militaire l’occuperait exclusivement. L’idée d’épouser la fille de Sarah, la petite Attié, ne lui vint pas même à l’esprit. Il n’y avait plus pour lui dans ce monde qu’une seule femme, et cette femme était Sarah. Benjamin était bien véritablement amoureux, et l’amour qui était entré dans son cœur n’était ni oriental, ni occidental ; c’était l’amour de tous les pays et de tous les temps. Quelquefois il se demandait tristement s’il était encore attendu sous le paisible toit qui abritait sa famille, qui abritait Sarah. Ne le croyait-on pas mort ? ne l’avait-on pas oublié ? Le