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Quatre Géorgiens l’avaient attaqué à la fois. Il se défendait admirablement, mais ses forces commençaient à s’épuiser. Pendant que trois Géorgiens l’attaquaient de face, le quatrième s’était jeté légèrement de côté, puis il avait fait un pas en arrière, et levait déjà son poignard pour frapper le Polonais, lorsque Benjamin, que le danger attirait, comme l’eau attire le chameau du désert, s’élança au secours de son camarade, et commença par terrasser le rusé Géorgien. Les assaillans abandonnèrent aussitôt le Polonais pour tomber sur Benjamin, mais ils rencontrèrent une vaillante résistance et durent se décider à la retraite. En ce moment même, le combat finissait à l’avantage des Turcs, et Benjamin, que l’officier polonais venait de proclamer son sauveur, put se dire avec une légitime fierté qu’il avait pour sa part largement concouru au succès. C’est ce que reconnurent d’ailleurs les chefs de la colonne, qui le félicitèrent chaudement sur son courage et le promurent au grade de iuz-bachi. À la fin de cette journée mémorable, Benjamin se sentit comme transformé ; il était désormais possédé de cet amour du péril, de ce besoin de nobles émotions, qui sont le propre des âmes courageuses et des natures vraiment fortes.

À dater de ce jour aussi, les occasions de manifester ces instincts généreux ne manquèrent pas à Benjamin. Y avait-il une mission dangereuse à remplir, Benjamin en était chargé. On le plaçait tour à tour à l’avant-garde, à l’arrière-garde ou au centre, selon la position de l’ennemi. Loin de s’en plaindre, Benjamin n’était jamais plus content que lorsque la fusillade résonnait à ses oreilles et que les balles sifflaient autour de sa tête. Son cœur battait de joie, ses yeux lançaient des flammes, et il enviait ceux de ses camarades que la mort saisissait au milieu de l’ivresse des combats, qu’il voyait tomber à ses côtés, le sourire du triomphe sur les lèvres. Ces camarades-là n’étaient peut-être pas très nombreux ; mais quand on est emporté, comme l’était alors Benjamin, par l’enthousiasme, le jugement le plus net s’obscurcit, et l’on aperçoit des sourires sur les lèvres les plus douloureusement contractées, de même que les sons les plus discordans se changent pour l’oreille enivrée en une musique de fête.

Cette brillante série de combats eut une fin cependant. La guerre était terminée. Le corps dans les rangs duquel servait Benjamin regagna Constantinople. Hélas ! le jour du retour et du repos, si beau pour la grande majorité des soldats, fut des plus tristes pour le pauvre Benjamin. Le jeune héros s’aperçut pour la première fois que ses jambes étaient raides et douloureuses ; le lendemain amena une autre découverte : son bras droit n’exécutait guère que la moitié des mouvemens exécutés par le bras gauche. À quelques jours de