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lui-même n’était ici qu’un habile aventurier qui n’éprouvait nul embarras à raconter des exploits imaginaires. Athanase possédait quelque instruction acquise pendant son séjour en Europe, et se composait des doctrines scientifiques assez curieuses avec les souvenirs de ses conversations ou de quelques lectures superficielles. Ce qu’il savait était peu de chose, mais il n’en fallait pas beaucoup pour intéresser et surprendre un esprit naïf et inculte comme celui de Sarah. Cueillait-elle une fleur, Athanase lui débitait gravement quelques notions banales de botanique. Le temps se couvrait-il de nuages, Athanase se mettait d’un ton solennel à discourir de météorologie. Quelquefois même, à la vue d’un ciel étoilé, il faisait à Sarah tout un cours d’astronomie, où son éloquence pittoresque se déployait à l’aise. Sarah se sentait transportée dans un monde nouveau, un monde d’enchantemens et de prodiges ; tout dans la nature lui semblait renfermer de sublimes mystères, et elle eût voulu ne jamais se séparer de celui qui pouvait seul les lui révéler. Aimait-elle Athanase ? Non sans doute, mais elle s’habituait à invoquer en toute occasion son omniscience. Sans cesse elle repassait dans sa mémoire les brillans récits d’Athanase, et pourtant elle éprouvait aussi parfois des mouvemens d’aversion et de frayeur en réfléchissant à l’étrange influence que cet homme, un chrétien, un Grec, avait prise sur elle. Fallait-il que son image fût toujours présente à sa pensée ? Fallait-il que ce souvenir impur se mêlât à toutes ses affections ? Que deviendrait-elle s’il s’éloignait jamais, et ne pouvait-il pas un jour demander à Sarah de partir avec lui ? L’image de Benjamin lui apparaissait alors, et des sentimens confus et douloureux s’éveillaient dans son âme. Durant les premières semaines qui avaient suivi son départ, elle ne s’était préoccupée que du changement apporté par ce départ même à l’avenir de sa fille ; mais depuis qu’Athanase s’était en quelque sorte emparé d’elle, Benjamin ne s’offrait plus à son imagination troublée que comme un défenseur et quelquefois comme un juge sévère et irrité. Que dirait-il s’il la voyait ainsi dominée par un Grec ? Comprendrait-il l’espèce de fascination exercée sur elle, l’attrait que lui inspiraient ces récits surprenans et ces explications merveilleuses ? ou bien ne verrait-il dans tout cela qu’un faux et misérable prétexte à une intrigue criminelle ? Et en se posant cette question, Sarah sentait le sang lui monter au visage et son cœur battre avec violence, car les leçons d’Athanase, certaines de ses leçons du moins, avaient été pour elle le fruit défendu ; elles lui avaient donné la science des choses qui font rougir.

La veuve d’Osman ne s’expliquait que trop bien maintenant les bizarreries du caractère de Benjamin, et cette découverte lui causait une émotion à la fois douce et pénible, mais entièrement diffé-